On lit ça et là, sur la toile ou dans les magazines, on entend ça et là dans la bouche des rôlistes, même (surtout?) confirmés, ceux qui ont déjà quelques (dizaines) de campagnes à leur actif, que Donjons et Dragons est un jeu de type "porte, monstre, trésor". "Porte, monstre, trésor", kesako? "C'est très simple", comme dit Léo à chaque fois qu'il explique la règle d'un nouveau jeu. Le MJ se débrouille pour envoyer vos personnages à l'assaut d'un bâtiment (ça peut aussi être une structure plus naturelle, mais il faut un découpage en pièces), puis à chaque fois que vous arrivez à ouvrir une porte, vous vous retrouvez face à un monstre qu'il faut combattre pour récupérer sur son cadavre encore fumant un objet de valeur. La dernière pièce renferme généralement un "boss", c'est à dire un ennemi plus puissant, qui livrera un vrai "trésor" - oui, comme dans les films de pirates, généralement enfermé dans un coffre avec de l'or et tout.

Alors... Alors on retrouve bien dans le titre "Donjons et Dragons" une vague idée du schéma ci-dessus, avec undDragon comme boss final. Et ce préjugé est parfaitement entretenu par l'industrie du jeu vidéo, qui appelle "jeu de rôle" n'importe quel shoot-em'up un peu évolutif (genre, après avoir écrasé trois gobelins, vous avez gagné un niveau d'xp qui vous donne le droit - hou qu'on est content! - de taper plus fort). Sauf que. Sauf que dans "jeu de rôle", il y a... "rôle". Et ça, c'est quelque chose que même les meilleurs des programmeurs codant sur les machines les plus puissantes n'arrivent pas (encore?) à modéliser. Donc, oui, je le clame, l'appellation "jeu de rôle", dans le jeu vidéo, est complètement galvaudée, et devrait être abandonnée pour le jour où, enfin, des machines permettant à des jeux dignes de cette appellation de voir le jour existeront.

Pourquoi? Parce que dans le rôle, il y a la notion d'infini. Attention, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de barrières. Entre les entiers 1 et 2 il existe une infinité de nombres rationnels (1/2, 1/3 etc...), mais cette infinité ne peut pas inclure des nombres comme 3 ou 4... Bref, dans Donjons et Dragons, comme dans n'importe quel jeu de rôle digne de ce nom, votre personnage peut faire "ce qu'il veut", dans la limite des règles, lesquelles ne stipulent pas qu'un donjon ou un dragon doivent un jour apparaître, ni une porte, ou un trésor. Qui a dit que les intrigues politiques n'existaient pas dans Donjons et Dragons? Qui a dit qu'entretenir une ferme, résoudre un crime passionnel ou aller à l'école (de magie?), étaient des activités "tristes", qui n'intéressaient pas les joueurs? Tout dépend de a façon dont c'est introduit, mené, dont le joueur va être immergé et investi dans l'histoire.

Alors finalement, une fois que ce point est éclairci, on se dit que "porte, monstre, trésor", n'est pas une caractéristique de Donjons et Dragons, c'est un élément scénaristique qui peut être appliqué, ou pas, à n'importe quel univers de jeu. Le monstre peut être n'importe quel ennemi, y compris un gros-bras armé d'une mitraillette dans un jeu d'espionnage, et le trésor peut revêtir n'importe quelle forme, y compris celle du seul élément qui a de la valeur dans à peu près tous les univers de jeu, à savoir l'information. Mais, ce n'est qu'un élément, parmi d'autres, et en aucun cas une obligation. De même que l'on peut jouer des campagnes entières sans combattre, et sans s'ennuyer (sinon, si l'important est de combattre pour combattre, il reste le shoot'em'up sur l'ordi, hein?), on peut jouer sans explorer de donjon, et recevoir de trésor en monnaie sonnante et trébuchante. Bien sûr, c'est au MJ de trouver pour ses joueurs d'autres contrées à explorer, et de faire en sorte qu'ils en redemandent. Les contrées "relationnelles" représentent au moins autant de surprises que les contrées "géographiques".

Alors, MJ... Inventez! Pas seulement un nouveau design de porte, une nouvelle forme de clé ou un monstre plus retors, inventez de nouvelles cultures, des ennemis ambigus, titillez la curiosité de vos joueurs à l'égard de vos PNJ, que vous rendrez attirants, répugnants, attachants, indispensables! Truffez leur monde de mystères, de complots, d'intrigues et de coups fourrés, mettez leur confiance en leurs alliés à l'épreuve, poussez les dans leurs retranchements et mettez leur morale en doute. Qu'ils sortent de chaque partie aussi épuisés mais heureux que d'une bonne séance de sport. Et faites-le dans chaque univers de jeu, Donjons et Dragons comme les autres.

Tout ça pour dire que, que vous soyez vétéran ou débutant, si votre MJ et vous-même consentez à laisser votre imagination investir le jeu, vous pouvez jouer toute votre vie à Donjons et Dragons sans vous ennuyer. Peut-être parce que finalement, les histoires que l'on raconte, peu importe leur décor, si elles font écho en nous, nous émeuvent, nous excitent, permettent à nos sentiments de se déchaîner, c'est avant tout par les relations que les différents personnages peuvent tisser entre eux, et la diversité de leurs objectifs et caractères. La magie, les combats, les monstres, les trésors, sont des éléments, des rouages parmi d'autres, mais en aucun cas le moteur en lui-même.