Commençons par un petit rappel, pour ceux d'entre vous qui n'auraient jamais eu l'occasion de jouer à ce merveilleux loisir qu'est le jeu de rôle. Si vous êtes novice,, autant commencer par l'introduction "Les principes du jeu de rôle".
Ensuite, le personnage est tout simplement l'avatar du joueur dans ce monde de brute sorti de l'imagination débridée du Meneur qu'est "l'histoire".

Comment construit-on un personnage?

Le plus important est de se faire plaisir. Or, je suis personnellement convaincue que pour prendre plaisir à jouer, il faut avant tout aimer son personnage. S'attacher à lui, avoir peur pour lui, exactement comme on s'attache à son personnage de roman préféré.
Ensuite, il ne faut pas oublier que le personnage est aussi un costume que l'on enfile pour interagir avec le monde du jeu. Et que de ses capacités, généralement (très) limitées, vont dépendre la qualité de ces interactions. Si vous voulez jouer un aventurier, pas besoin de s'encombrer de capacités telles que l'agriculture. Par contre, crocheter des serrures sera très utile pour mener l'enquête à la Sherlock Holmes, et fabriquer des flèches d'une grande
aide dans la bataille à la Robin des Bois.
Ceci est encore assez facile à définir, et votre meneur vous sera de bon conseil si vous débutez.

Par contre, il est beaucoup plus délicat de définir les traits de personnalité de son personnage, surtout si l'on souhaite sortir des archétypes. Certains systèmes de règles permettent de tracer de grandes lignes, via des systèmes dits d'"alignement", mais ils ne permettent pas de faire un travail fin sur les traits de personnalité proprement dits. Pourtant, c'est probablement le plus important, ce qui vous permettra de "ressentir" les émotions de votre personnage et d'enfiler sa personnalité comme un gant, en étant parfaitement à l'aise dans ses souliers.
Ça, c'est un travail personnel. Et on se heurte immédiatement à la question centrale : quels traits de caractère donner à mon personnage, et surtout que donner de mes propres traits de personnalité à mon personnage?

L'un des intérêts profonds du jeu de rôle, est d'essayer des choses que l'on ne peut pas se permettre dans la "vraie vie", et donc de faire des tests sans en assumer les réelles conséquences (bien que les conséquences en terme de jeu puissent exister! La vengeance du PnJ dont vous avez arnaqué un parent proche sera probablement terrible!). Mais il ne s'agit pas seulement de s'amuser à des extrêmes en jouant un assassin. Il s'agit aussi d'essayer des variations fines. Et si j'essayais d'avoir confiance en moi? Ici, le jeu de rôle peut avoir un effet quasi thérapeutique.
D'où l'intérêt de bien réfléchir à la personnalité de son avatar, pour explorer le maximum des champs qui nous intéressent, et ne pas se laisser enfermer dans un "truc fun une soirée, mais pas plus d'une soirée", à moins d'avoir pensé à ses futurs développements (éventuellement avec votre MJ, surtout dans le cas où vous souhaitez jouer un personnage en complet désaccord avec le reste
du groupe, un traitre ou quelque chose d'approchant). Il est aussi essentiel de s'adapter un minimum au type de jeu et de réfléchir au niveau de difficulté auquel on veut se confronter : jouer un enquêteur ultra timide n'est pas forcément évident, et les enquêtes risquent de ne pas avancer beaucoup si l'on est paralysé à l'idée d'interroger les gens. Même si c'est probablement amusant au début.
L'important est de ne pas s'ennuyer, ni de son personnage, ni pendant une partie.

Il est probablement impossible de jouer un personnage dont la personnalité soit en tous points opposées à celle du joueur. En tous cas impossible sans se le rendre détestable, et perdre ainsi plaisir à le jouer. Par contre, tout personnage peut - et doit, à mon sens - avoir ses côtés sombres et ses défauts.
Ne dit-on pas "on nous apprécie pour nos qualités, on nous aime pour nos défauts"?
D'un autre côté aucun personnage ne peut-être "parfait" (dans tous les sens du terme, que l'on joue un "bad guy" ou un "ange de miséricorde"), car aucun joueur ne l'est, et de toutes façons, un bon meneur arrivera (et devra!) toujours à vous placer dans des situations de choix difficile du point de vue de votre personnage, et qui mettront vos nerfs à l'épreuve. Et à ce moment là, plus la personnalité du personnage est développée, plus la situation sera jouissive à jouer. Et plus vous aimerez votre personnage, plus vous serez à même d'en accepter les conséquences, aussi dures soient-elles pour lui.

Tordons le cou à certains préjugés

S'attacher à son personnage, éprouver de l'empathie pour lui, est essentiel pour prendre du plaisir à le jouer. Quel rôliste n'a pas entendu, au moins une fois dans sa vie, un proche lui dire : "Oh, attention, il ne faut pas trop s'identifier à son personnage, après c'est dangereux : on confond la réalité et la fiction, et on s'enferme dans le virtuel jusqu'à en devenir fou!" C'est assez drôle de voir comme cette idée reçue est répandue parmi les personnes qui ne jouent pas aux jeux de rôle.

Jamais personne ne dit à un écrivain "attention, n'y passe pas trop de temps! À trop écrire et t'immerger dans tes histoires, tu vas finir par vivre dans ton monde virtuel."
Déjà, il est probable que personne ne dise ça, parce que tout le monde sait que les auteurs sont déjà des gens qui vivent un peu dans un monde à part, comme tous les artistes (joke inside). Mais surtout, personne n'imagine qu'ils puissent être assez bêtes pour perdre les pédales et se confondre avec les personnages de leurs romans.
Alors pourquoi ces regards suspicieux aux pratiquants des jeux de rôle?
Ils sont souvent plus jeunes. Ok. Mais justement, un des jeux les plus répandus des petits est de se "transformer" en quelqu'un d'autre, via le déguisement (ou sans déguisement, d'ailleurs, juste par le pouvoir de l'imaginaire). On trouve dans leurs jeux les plus répandus l'essence même du jeu de rôle : inventer une histoire en s'identifiant au héros. Ils le font d'ailleurs de façon beaucoup plus intense et complète que les adultes en sont capables, si l'on en croit Patrick Boumard, professeur d'anthropologie de l'éducation à l'université de Bretagne occidentale, dans son article intitulé "La magie des déguisements" (Cerveau et Psycho n°20). L'enfant devient son personnage, l'intègre comme une de ses personnalités. Et il perd cette capacité en grandissant.

Donc quel est le problème si des enfants jouent à un jeu de rôle? De toutes façons, ils le font depuis qu'ils sont petits. Et si un adulte le fait? Un adulte n'a plus la capacité de s'investir totalement de son personnage, il n'y a donc pas lieu de craindre que, plus qu'un écrivain, il perde son identité en s'habillant de celle d'un autre pendant quelques heures ou quelques jours (dans le cas par exemple d'un "grandeur nature"). Et les joueurs de jeu de rôle ne sont de toutes façons pas plus bêtes que les autres utilisateurs de l'imaginaire. Si déraillage il y a, déraillage il y aurait eu, avec ou sans jeu de rôle, film, ou roman (au passage, un roman violent est au moins aussi dangereux qu'un film violent pour nos chères têtes blondes, car encore plus immersif qu'un film, pourtant combien de romans violents sont "interdits aux moins de 18 ans"?...)


Moralité, amusez-vous, prenez du plaisir à jouer et, autant que le meneur de jeu s'investit à vous écrire des histoires, investissez-vous dans votre personnage. Riez avec lui, pleurez avec lui. Les parties n'en seront que plus intenses et plus réussies. Pour terminer, je me contenterai de citer Erick Wujcik, qui a écrit dans son manuel de Ambre, le jeu de rôle sans dé, ce qui pour moi représente l'essence du jeu de rôle :

"(...) Les meilleures parties sont celles au cours desquelles vous entrez dans la peau de votre personnage, quand vous pouvez rire ou pleurer ou vous sentir idiot, tout en passant d'excellents moments.
(...)
Oui, il arrive que les émotions du personnage passent dans le joueur. C'est très bien ainsi. Pourquoi ne pourriez-vous pas vous sentir aussi excité, triste ou épuisé après une partie de jeu de rôle qu'après un match de football?"