Vampire : La Mascarade

Tanas

Page rédigée par Tam

Alors, laissez-moi vous parler un peu de ma vie... et de ma non-vie !

Je suis né le 25 mai 1954. Je suis né dans une ville qui s'appelle St-Petersburg, et qui se situe à la pointe sud de la Géorgie, Etats-Unis. C'est une belle ville directement au sud de Tempa, suffisamment importante pour bénéficier des services d'un aéroport, qui repose au bord du Golf du Mexique et donc qui jouit d'un climat généralement très doux et clément. C'est un coin assez retiré de la folie du monde, entre les Bahamas à l'est et Cuba au sud. Mais ma famille est en fait d'origine prussienne. Mon grand-père paternel, très instinctif, un homme d'ailleurs redoutablement intelligent, sentit que le vent de folie qui s'emparait de l'Europe signerait leur ruine. Aussi, en 1937, avant que toute option devienne impossible, il fit transférer tous ses avoirs aux Etats-Unis, liquida ses biens immobiliers et mobiliers, et c'est avec armes et bagages, comme on dit, qu'il emmena sa famille dans cette ville de St-Petersburg. Pourquoi ici ? Le nom bien sûr. C'est tout de même avec une grande nostalgie que Piotr quittait le vieux continent. Ses racines étaient en Prusse, et il savait qu'elles remontaient même jusqu'à l'Empire russe, et c'est au nord qu'il se sentait vraiment chez lui. Mais nécessité fait loi, il savait que pour sa famille s'ouvrait une ère d'exil, mais il espérait qu'un jour, sa descendance retournerait vers ses origines. Et qui sait ce qu'il adviendra de nous.

Je suis apparu sur cette terre à minuit 01, au cours d'un de ces nuits apocalyptiques... Cela faisait trois jours qu'il pleuvait sans interruption, le vent hurlait sous les toitures, le soleil n'avait pas suffisamment de force pour percer une obscurité qui rendait le jour fort semblable aux nuits. Les gens avaient peur et ne savaient plus comment réagir face à la folie de la nature. Cela faisait trois jours que ma mère était alitée, aux prises à de fortes fièvres, elle était dévorée par une souffrance inconnue, délirait, ne reconnaissait plus personne, elle ne se souvenait même plus qu'elle était enceinte et fort près du terme... Mon père, riche banquier, habitué à diriger et commander depuis un confortable fauteuil en cuir, un verre de cognac dans une main et un gros cigare dans l'autre, était incapable de faire face, aussi s'enfuit-il lâchement et se retrancha-t-il dans son confortable bureau, sa secrétaire se chargeant de le... consoler. Ma mère fut donc, pour son premier enfant, confiée aux bons soin de la bonne, Hilde.

Hilde était une femme mûre, dont la sagesse était respectée par tous, ou presque. La vie n'avait pas été tendre avec elle, mais elle avait traversé tous les obstacles, avec courage et philosophie. Elle s'était pris d'une véritable amitié pour ma mère, la considérait un peu comme la fille qu'elle avait eue,... et perdue depuis longtemps. Elle était d'origine allemande, et cela aussi les rapprochait. Sa fidélité n'avait pas d'égale, sa force non plus. Bien que n'appréciant que fort peu mon père, elle fut cependant soulagée ne de plus avoir ce « manchot » dans les pattes (il n'y n'avait aucune trace de méchanceté en elle, mais elle détestait les incompétents, surtout si leur langue raclait la semelle de leurs chaussures). Elle surveilla ma mère chaque minute qui passa, fit tout pour soulager ses souffrances, et lorsqu'elle sentit que la première réelle contraction se présenta, c'est elle qui l'amena à l'hôpital. Mais rien que cela est toute une histoire !

Hilde n'avait pas le permis de conduire, elle m'avait jamais touché à un véhicule à moteur de sa vie, et même, elle les craignait un peu. Vu la météo, il lui était impossible de faire venir un taxi, aucun ne voulait prendre le risque de perdre son véhicule, ou même bien pire, à se promener dans les rues dévastées de la ville. Hilde ne se laissa pas démonter. Elle courut chez le vieux Bernd, un émigré autrichien qui habitait la maison d'à côté. Bernd était le vieux râleur du quartier, un des hommes les plus asociaux à qui il soit donné d'exister. Mais ce vieux croulant savait conduire, même s'il n'avait plus roulé depuis fort longtemps, et il n'était pas question pour Hilde de lambiner ! Son caractère bien trempé transparaissait par ses yeux ardents, qui en ce moment auraient fait fondre l'Himalaya. Elle sonna, hurla, tempêta, frappa tant et si fort l'huis de son « cher » voisin, qu'il céda et finit par ouvrir sa porte. Il n'eut que le temps d'inspirer, et fut projeté en avant. Une véritable furie aux serres d'acier l'avait attrapé, lui compressait l'avant-bras, et le traînait derrière elle, tout en débitant furieusement des mots dont il avait peine à réaliser le sens. Il n'eut le temps de se rendre compte de rien, qu'il se retrouvait derrière le volent d'une grosse BMW, avec pour ordre, non négociable, d'aller à l'hôpital, et plus vite que ça !

Bernd vécu toute cette incroyable histoire comme un rêve. La houleuse et épique traversée d'une ville qui semblait dévastée et complètement morte, la voiture qui semblait avoir sa vie propre et qui ne cessait de vouloir se frotter aux obstacles, la tempête qui hurlait, la nervosité de Hilde, les cris de ma mère... Ils arrivèrent aux urgences d'un un crissement de pneus, il était 23 heures. Les infirmiers couraient dans tous les sens, le service des urgences était saturé, les cris, les lumières vives, tout tournait à une vitesse folle. Une grosse dame courut vers Hilde, s'enquit du problème, tonna des ordres. Deux hommes placèrent ma mère sur une civière, et l'emmenèrent en urgence au bloc opératoire. Impossible de procédé à un accouchement naturel dans son état, ce sera une césarienne. Les choses furent rondement menées, et à minuit 01, je poussai mon premier cri... et certes pas le dernier. Mais la plus grande surprise aurait dû être pour mère, enfin, si elle avait été consciente de son accouchement bien sûr. Car nul n'avait prévu, à minuit 05 cette nuit là, l'arrivée d'un second bébé, une fille, ma jumelle.

Les médecins, gynécologues et autres n'avaient rien vu, mère n'avait rien senti de spécial, bref, c'était une arrivée des plus inopinée. Lorsque le travail terminé, le médecin a annoncé la nouvelle à Hilde, et donc aussi à Bernd, elle n'en a pas cru ses oreilles et se serait affalée au sol si son compagnon ne l'avait pas tenu. Des jumeaux, rien que ça ! Et c'est avec fébrilité que les deux compères se précipitèrent à la nurserie. Mais ils n'étaient pas au bout de leur surprise, et leurs nerfs, dont la solidité avait déjà bien été entaillée, devraient encore prouver leur solidité. Il leur a d'abord fallu attendre, que nous soyons lavés, nourris, habillés, étiquetés, bref, tout le bataclan qui suit une naissance. Puis enfin est venue l'heure d'être « exposé » à la vue de tous. Et c'est là que tout à mal tourné. L'équipe de nurses en poste cette nuit là allait procéder au changement d'équipe, nous étions fins prêts, ne nous manquait que le bracelet, dans notre cas avec le nom de famille pour seul mention, mère n'ayant pas encore été capable, dans son état, de nous donner un nom. Mais chaque chose en son temps. Il y a eu un battement, seulement quelques minutes, un temps vraiment infime, pendant lequel ma jumelle et moi nous sommes retrouvés à la nurserie, sans surveillance. Un temps vraiment dérisoire, mais cela a suffit à quelqu'un. Lorsque la deuxième équipe vint prendre son poste, au lieu de deux bébés, il n'en restait plus qu'un. Imaginez les cris, les appels, la fébrilité des recherches, les questions sans réponses, puis finalement, la mauvaise conscience, les remords, la peur, la panique... Mère était dans les vapes, père était absent, Hilde dans un état de nervosité assez préoccupant, mais que faire, elle savait qu'il y avait eu deux bébés, on ne pouvait complètement étouffer l'affaire, il ne restait qu'à espérer qu'elle comprendrait la nécessité de se taire... et elle comprit, avec l'aide de Bernd. Elle craignait pour la vie de mère, elle ne pouvait lui faire un tel choc, ça la tuerait certainement, et père, on ne pouvait compter sur lui. Il avait son héritier, le garçon était là, alors ? Toute la nuit, les recherches sont restées veines, il n'y avait aucune piste d'aucune sorte, aussi Bernd et Hilde acceptèrent-ils de se taire, mais pas d'oublier. Et cette histoire est restée leur secret, jusqu'au jour où une autre naissance fut annoncée, mais ceci est une autre histoire?

Pendant cette heure interminable, Hilde s'est littéralement liquéfiée de crainte. Voyant cela, le vieux Bernd n'eut pas le coeur de jouer son rôle habituel. Lui aussi avait beaucoup perdu, beaucoup trop, et le seul mur qu'il fut capable de bâtir pour se protéger, fut un mur de vide et de silence. Quand on n'a rien, on ne peut rien perdre. Mais cette nuit était un de ces nuits où le meilleur et le pire sont si intimement enlacés, que tout peut arriver. Et c'est en tendre et compréhensif ami qu'il prit Hilde dans ses bras, et la berça comme un petit enfant pour la réconforter. Hilde s'en est-elle seulement rendu compte ? En tous cas, plus tard, jamais elle ne voudra reconnaître le fait. Jusqu'à ce qu'ils nous quittent, j'avais eu le temps de bien les connaître, Hilde et Bernd. Des coeurs en or, mais qui n'ont pas su se rapprocher, c'est dommage? Ces deux vieux ronchons sont les premières personnes qui se sont occupées de moi, ce sont eux qui se sont toujours occupés de moi en fait.
Après l'opération, ma mère fut placée aux soins intensifs, sont état restait préoccupant. Aucun médecin n'arrivait à déterminer l'origine des fièvres. Etait-ce une infection, une maladie ? Le problème était-il seulement physique ? Tous étaient dans l'expectative. Ce sont dont les nurses qui me donnèrent mon premier biberon. Autant que je m'y habitude, en ce qui me concernait, il était hors de question que je sois allaité. Bon, il y a pire dans la vie me direz-vous !

Une heure avant l'aube la tempête s'essouffla, puis disparu brusquement. Avec les premiers rayons du soleil, la fièvre de ma mère disparut. Les médecins n'avaient pas plus de réponses qu'avant, mais le résultat était parfait, que demander de plus ? Cinq jours plus tard, ma mère et moi sommes rentrés à la maison, et c'était une belle fête. Mon père était de retour, pour occuper sa place et son rôle habituel. Ma mère pu reprendre le sien, Hilde aussi... il n'y eut que Bernd qui procéda à de petites modifications : son rempart avait une porte, une porte dont Hilde et moi avions désormais la clé. Les premières années de ma vie furent assez ordinaires, du moins, pour un enfant de la haute bourgeoisie. Mais laissez-moi vous parler de mes chers parents....

Ma mère se prénomme Prudence, un nom qui ne manche pas de charme, surtout s'il est prononcé à la germanique..., mais qui résume toute sa personnalité. Elle était fille unique d'un gros industriel de Glasgow qui avait épousé une riche bourgeoise allemande. L'avantage de naître ainsi, c'est que les mots « soucis d'argent », « responsabilité » et « travail » sont à peu près inconnus. Sa journée était rythmée par la gym, les soins du visage ou des ongles, les cures, bref, tout ce qui permet d'avoir une apparence attrayante, et de la garder malgré les années qui passent. Quant à la gestion de la maison, elle dictait ses ordres à Hilde, qui n'avait qu'à se débrouiller pour régler tous les détails. Et l'argent ? Et bien, de par un très bel héritage elle n'avait déjà pas trop de soucis à faire, mais en plus elle a eu l'excellente idée de séduire, et surtout de se faire épouser d'un riche banquier de la haute bourgeoisie prussienne. Pourquoi donc compter quoi que ce soit dans ces cas là ? Bref, ce n'était pas un problème. Son problème a plutôt consisté en le fait que son époux voulait, exigeait, un héritier, au moins un. Qu'elle se débrouille ensuite avec sa silhouette ! Et c'est un peu à contre coeur que je fus produit. Mais le principal après tout, c'est que je sois là, non ?

Mon cher et tendre père a toujours été une sorte de nuage sombre qui plane perpétuellement au-dessus de la maison mais qui n'y est que très rarement. Cocktails, soirées à l'opéra, conseils d'administration, dîners d'affaire, toutes ces activités lui ont pris tant de temps, qu'il a fallu attendre que j'aie 5 ans pour me rendre compte qu'il existait vraiment, et pas simplement en mots. Mère était à nouveau enceinte, un ridicule accident. Une soirée particulièrement fructueuse avec un grand boursier de Miami. Les énormes profits qui se sont dévoilés à l'horizon, ont été source d'une euphorie que père et mère ont rarement partagée ensemble. Ajouter à cela le grain de folie due à l'alcool,... et vous en arrivez à l'oubli fatidique de la fameuse « pilule », qui causa quelques mois plus tard une grande surprise : l'arrivée de Sidonie. Sido, pour les intimes, est née le 30 mai à 23h56, 5 ans après moi. Et ce jour là (comme d'habitude, Hilde s'était occupée de moi et de mère), ou plutôt, ce soir là, Père avait signé un gros contrat de partenariat avec l'un de ses plus dangereux concurrents, et ce n'est donc pas sans joie qu'il vint voir son second héritier, ou plutôt, son héritière. J'étais devant la vitre, avec Hilde, et j'essayais de voir cette petite chose qui serait ma soeur. Père, tout guilleret, m'attrapa, et m'envoya tourner dans les airs en chantonnant, avant de me reposer à terre et d'offrir son plus avenant sourire à Hilde en demandant : « Où donc est mon superbe enfant ? ». Ce soir là, j'ai compris que père existait aussi pour de vrai. Mais était-ce seulement une bonne chose ?

Les années ont passées. Sido et moi nous sommes toujours très bien entendu et avons toujours été très proches, malgré, ou peut-être grâce au fait que nous soyons si opposés. Sido a toujours représenté pour moi la femme parfaite, et à chaque fois que je me suis laissé séduire, en réalité c'est Sido que je recherchais dans ces femmes. Les rousses me font craquer, et je n'y peux rien. Moi, j'étais l'adolescent de haute taille, aux pommettes saillantes et au menton carré, aux cheveux d'un noir profond et aux yeux d'un vert éclatant. De haute stature, j'étais un grand sportif à la musculature fine et déliée. Avec mon teint mat et mes caractéristiques physiques assez typiques des gens du sud, c'est à se demander si j'avais vraiment été élevé dans la bonne famille. Sido était petite, à l'ossature fine. Elle avait le visage rond, la peau de nacre pleine de tâche de rousseurs, une longue chevelure dont les boucles resplendissaient comme du feu sous le soleil. Tout en elle respirait la grâce, la gentillesse et la douceur. D'ailleurs elle avait un caractère aussi tempéré que subtilement têtu. Elle était tout à la fois sociable, calme, réfléchie, que décidé et subtile. Moi, j'étais plutôt du genre frondeur, impulsif, sauvage, assez solitaire bien que je sache parfaitement comment charmer les gens pour arriver à mes fins. J'aimais séduire, mais c'était plus par jeu que par sincérité. J'aimais beaucoup m'amuser, et cela se faisait le plus souvent au détriment de quelqu'un d'autre. Et la cible favorite de ma frivolité était sans contexte M. et Mme Parmiev, gros et respectés bourgeois ! Ho, je n'ai jamais fait de grosse erreurs, le genre de celles qu'une vie ne suffit pas pour expier, mais quel plaisir quand les flics me ramenaient, menotté et un peu chahuté jusqu'au domicile paternel ! Et je m'arrangeais toujours pour que cela se fasse au moment le plus opportun, soit quand il y avait le plus de témoins ! Sinon, où aurait été le plaisir ? Aussi, ce genre d'affaire, bien que courantes d'une certaine façon, alimentait les commérages locaux pendant des jours et des jours ! Sido, qui comprenait ma réaction, ne partageait pas mon opinion. Mais au moins, elle la respectait.

Pourquoi étais-je aussi bad boy ? Ce sont Hilde et Bernd qui nous ont élevés, Sido et moi. Eux au moins, nous ont aimés et respectés. Ils nous ont tout appris. Ils nous ont écoutés patiemment. Dans le fond, si je ne suis pas devenu un véritable criminel, c'est à eux que je le dois. Je ne voulais pas que cette étincelle de fierté qui brillait dans leurs yeux quand ils me regardaient disparaisse. D'un autre côté, je ne pouvais pas accepter que l'argent soit plus important que nous. Car père et mère se contentaient de nous regarder de temps à autre, de nous juger et de nous jauger, de faire des plans d'avenir et d'alliance dans le but d'augmenter encore une fortune qui était déjà colossale. J'y ai réagi par le cynisme et l'ironie, Sido par l'art. Pendant que je faisais mes frasques, elle, elle peignait. Et c'était magnifique ! A 16 ans, j'ai dû commencer à réfléchir à mon avenir. Je n'en avais pas franchement envie, mais Bernd savait se montrer très convainquant, même face aux plus rétifs. J'ai choisi l'informatique.

Et c'est comme ça qu'à 20 ans je me suis retrouvé à l'école d'ingénieurs. Je n'avais abandonné ni mon génie malfaisant, ni mes petites habitudes. Du coup je n'étais pas forcément très populaire, ni très aimé. Mais on me craignait, personne n'était très sûr de vouloir savoir de quoi j'étais capable en réalité. Alors on me laissait tranquille. Un seul a eu le courage (et la curiosité) de s'approcher de moi. Il s'appelait Riper Karmichael. On avait le même âge, mais pas du tout la même vie. Lui il avait dû travailler dur pour se payer ses études. C'était un homme franc, solide, et très courageux. Pour s'approcher de moi, il fallait l'être. Il trouvait que j'avais une tête sympathique, et que je devais être quelqu'un qui méritait d'être connu. Comme c'était aussi un grand sportif, il m'a mis au défi de le battre à la course d'obstacle. N'ayant rien de mieux à faire ce jour-là, j'ai accepté. Nous avons ri ! Oui, je croyais que seuls Sido, Hilde et Bernd étaient capable de me faire rire. Ce soir-là, j'ai ri avec Riper, comme un fou, comme un gamin. Ce soir là, nous sommes devenus amis. J'avais bien des copains, des connaissances, des copines aussi (pas mal même !), mais ces personnes me connaissaient sans vraiment me connaître. Je ne les laissais pas s'approcher. Aucune d'ailleurs ne savait que j'avais une soeur. Ces gens des ombres appartenaient à ma face cachée. Riper et Sido appartenaient à ma face lumineuse. Et ils étaient faits pour s'entendre. Cela je l'ai su alors qu'ils ont échangés leur premier regard. Moi j'avais déjà compris.

Quand ce fut enfin clair pour les deux tourtereaux qu'ils étaient réellement inséparables, il fallut affronter père et mère. Riper était l'antéchrist d'un parti convenable : sans le sous, né d'une famille heureuse mais obscure, mieux valait encore faire de Sido une none ! La confrontation fut terrible. J'avais 27 ans, Sido 22. Et c'est la première fois que je l'ai vue perdre son sang-froid et être véritablement en colère. Et il ne fait pas bon de se retrouver en face d'une Sido en rogne, parole de Tanas ! Car dans ces cas-là, le feu n'est plus uniquement dans ses cheveux, mais dans ses veines ! Je me suis opposé au refus de père et mère, Hilde et Bernd ont plaidé sa cause, Riper n'a pas ménagé sa peine, rien n'y a fait. Non, c'était non. Alors Sido est montée, a rapidement rempli une valise et est partie sans se retourner. Elle s'est installée avec Riper, et c'était pour ne jamais revenir en arrière.

Cela faisait deux ans que Riper et moi avions terminés nos études, et nous avions réussi à nous faire engager tous les deux chez Infotex, une boîte qui développait des logiciels de jeux, et autres interfaces ludiques du genre, ainsi que divers systèmes de sécurités. Un job sympa et pas trop stress pour qui n'était pas manchot. Donc on gagnait assez bien notre vie, et comme on s'entendait toujours aussi bien, on avait loué ensemble un appartement assez coquet. L'arrivée inopinée de Sido a un peu compliqué les choses, mais on s'est vite arrangés. Ils ont commencé par se marier. C'était une belle fête, intime. Ensuite, on a emménagé dans une jolie maison qui donnait sur le bord de la plage. Elle était composée de deux appartements, et le rez étant un peu plus spacieux, c'est moi qui me suis installé sous les combles. On était ensemble, on vivait bien et joyeusement, Bernd et Hilde venaient souvent nous visiter. Père et mère estimaient ne plus avoir de fille. Un aussi dégradant mariage était inacceptable. A côté de cela, toutes mes frasques passaient pour des enfantillages de gamin ! Et puis j'étais un homme, alors il était considéré comme normal que je commence par m'encanailler. Cela donnait d'ailleurs à père l'espoir que je puisse dignement lui succéder à la tête de ses petits requins. Donc, j'existais encore. Mais ce n'était pas un travail très prenant, une carte et un coup de fil par année, voilà le temps que ça me prenait. Du temps qu'ils me fichaient la paix... C'était un temps de paix, enfin, jusqu'au jour où Sido, lors d'un agréable et charmant souper, nous annonça à tous, qu'elle était enceinte et que la famille allait tantôt s'agrandir. Riper en est presque tombé de sa chaise, le pauvre ! Moi, j'étais content pour eux, c'était vraiment une bonne nouvelle ! Mais Bernd et Hilde sont devenus sombres, tout à coup. Je l'ai vu, mais je n'ai pas compris. Et puis, c'est une Hilde tremblante, dont la main écrasait celle de Bernd, qui prit la parole ce soir là. C'était un lourd secret, porté depuis trop longtemps, ma jumelle... Et nous étions adultes bon sang ! Cette soirée restera toujours gravée dans nos mémoires. L'euphorie a été contaminée par la tristesse, mais que faire ? Peut-être un jour nos chemins se croiseront-ils ?

Et puis un jour, tout notre quotidien a été chamboulé. C'était une radieuse journée. Sido était enceinte jusqu'aux oreilles et s'attendait à devoir être transportée à l'hôpital d'une minute à l'autre. Comme on pourrait s'y attendre, Riper tenait beaucoup plus de la girouette folle que de l'humain ! Hilde et Bernd étaient venus en renfort, et moi je tâchais de calmer le loup furieux. Et puis un cri, un appel, et tout s'est mis à tourner à une vitesse folle. La voiture, le crissement des pneus, l'arrivée à l'hôpital, l'infirmière, le brancard. Et c'est un Riper vert et nauséeux, prêt à verser dans les pommes qui s'est fait conduire en salle d'accouchement par un dragon en jupe. Sido n'a pas lambiné, et deux heures plus tard nous étions tous devant la vitre de la maternité à regarder Jamie et Jos. Nous étions le 6 juin, il était 13 heures 15, l'heure de l'apéro ! Nous sommes alors rentrés à la maison et avons joyeusement levés nos verre sur la terrasse, la grillade sentait bon, tout allait pour le mieux. Vers le soir, Hilde et Bernd sont rentrés, nous laissant en tête à tête, une bière à la main, et totalement épuisés.

Le lendemain matin s'est avéré beaucoup moins joyeux. Hilde m'a appelé, en larmes. Hier soir, Bernd et elle s'étaient séparés par un chaste baiser, et elle était rentrée « au domaine » comme j'appelle notre « maison familiale ». Elle s'est faite cueillir par mère, qui lui a fait une violente et épouvantable scène, primo parce qu'elle n'était pas là pour organiser les quatre volontés de mère, secundo parce qu'elle était auprès d'une trainée qui n'était plus sa fille, et tertio, parce que c'était pour la naissance d'enfants indignes qui seront élevés loin des seules vraies valeurs qui comptent. Il faut bien dire que ces dernière années, les sentiments de Hilde pour mère avaient bien évolué. Ses yeux s'étaient gentiment dessillés depuis ma naissance, et elle voyait peu à peu mère sous son vrai jour, futile, égocentrique, si artificielle. Pauvre Hilde. C'est en pleurs qu'elle est allée se coucher, enfin, elle n'a pas vraiment dormi. C'était une vieille dame, trop vieille pour continuer à travailler, surtout dans ces conditions très proches de l'esclavage. Elle ne supportait plus cette tyrannie, et puis, surtout, elle estimait qu'elle n'avait plus rien à faire dans cette maison depuis que plus aucun de nous n'y était. Elle était surtout restée par fidélité, par habitude, mais il était temps de changer la situation. Bien avant l'aube, elle avait rédigé sa lettre de démission et fait ses bagages. Elle irait chez Bernd quelques jours, le temps pour elle de se trouver un petit appartement, si possible proche de chez nous. Et c'est ce qu'elle a fait. Bernd était un lève-tôt, elle ne doutait pas de le trouver dans le salon une tasse de café à la main, un livre sur les genoux, malgré l'heure indue. Elle a sonné, rien, Elle a fait le tour de la maison par le jardin, rien. Pas une lumière, par un bruit. Hilde commençait à avoir grand peur. Elle rentra par la porte de derrière, qui restait généralement ouverte. Le rez était désert. Tremblante, elle monta à l'étage et appela. Pas de réponse. Prenant son courage à deux mains, elle ouvrit la porte de la chambre à coucher et s'approcha de Bernd. Son visage était trop pâle, trop serein, trop... figé. Elle approcha sa main de son cou, mais savait déjà ce qu'elle trouverait, ou plutôt, ce qu'elle ne trouverait pas. Il était mort dans son sommeil, heureux et satisfait de ce que la vie lui avait finalement donné. Mais fatigué par les trop nombreuses années qui étaient passées, il s'était endormi pour ne plus se réveiller. Hilde a d'abord appelé la police, pour signaler le décès, puis immédiatement après, c'est moi qu'elle a appelé. Il ne me restait plus qu'à aller la chercher.

La déposition de Hilde s'est faite rapidement, il n'y avait pas grand-chose à dire. Puis, plus morte que vive, je l'ai emmenée chez nous. Elle pouvait bien loger chez moi, j'avais toute la place désirée, je vivais seul, alors où était le problème ? Et puis, plus proche de nous, elle s'en remettrait plus facilement, et les deux bébés arriveraient bientôt, ça lui remonterait le moral. Pour ma part, j'avais cette impression de vide que laisse la disparition d'un père. C'est ce qu'avait été Bernd pour moi, bien plus que ne le sera jamais l'officiel. Le retour de Sido et des petits n'a pas été aussi triomphal que cela, les circonstances ne s'y prêtaient pas, et elle aussi avait mal. Nous l'avons enterré, nous l'avons pleuré, mais rapidement la vie reprit le dessus. Difficile faire autrement avec Jamie et Jos. Mais moi j'avais plus de mal à m'en remettre. Je sortais plus souvent, je fréquentais à nouveau tous ces cercles que Sido désapprouvaient, je cherchais l'oubli dans l'action. Mais cette fois, je n'avais plus personne à qui montrer mes frasques, alors même cela ne pouvait plus me réchauffer le coeur. Et puis par une nuit particulièrement sombre, une nuit où j'étais particulièrement triste, je me lamentais sur le bord de la plage, cherchant quelle idiotie faire pour me croire encore vivant. Je me sentais plus mort que vif, et quelqu'un l'a senti.

Je venais de fêter mes 30 ans, et ça avait été une belle et joyeuse fête. Mais là, je n'avais plus rien de joyeux. Je glandais sur la plage et ne savais pas quoi faire. Alors j'ai pris la voiture et c'est comme un sauvage que j'ai traversé la ville. Je ne savais pas trop où j'allais, je voulais juste rouler, je trouvais ça calmant, lobotomisant. Et comme je suis en prime un bien piètre conducteur, rien d'étonnant à ce que j'aie eu un accident. Mais je n'aurais jamais crû que j'y laisserais ma vie pour un moment de distraction. Je ne l'ai pas vu, ce maudit feu rouge, et celui qui m'est rentré dedans, feu rouge ou feu vert, il serait tout de même passé. Il était tellement saoul qu'il ne savait même plus comment il s'appelait ! Les deux voitures se sont violemment encastrées l'une dans l'autre, à pleine vitesse. Il y a eu des morceaux de taule qui ont giclé jusqu'à 25 mètres du lieu d'impact. Il ne restait au milieu de la route qu'un amas bleu, rouge et noirs. J'ai eu la chance d'être éjecté du véhicule, mais pour ce que ça changeait. J'avais perdu trop de sang, presque plus un os de mon corps n'était intact, ma vue était zébrée de gris, ma tête emplie d'une sauvage douleur qui me coupait le souffle. Moi qui voulais mourir, mon voeu se retrouvait soudain réalisé, et c'est à ce moment là que j'ai compris que je voulais vivre. Belle ironie. J'étais à l'article de la mort et plus qu'à demi conscient. Flottant dans un brouillard, une ombre s'est mise à danser devant mes paupières closes, et une voix d'une clarté anormale m'a dit : « Ce serait dommage de gâcher tout ce bon sang... Marche dans la nuit mon ami, et laisse-moi te voir évoluer, je suis curieux de voir ce que ça va donner, hahaha ! J'espère que tu ne vas pas gâcher un si grand don ! Mais bon sang ne saurait mentir...». Puis une douleur supplémentaire, une de plus ou de moins..., et je me suis réveillé plusieurs jours après, dans un grenier, un taudis inconnu, allongé sur un lit de fortune, miraculeusement intact, au moins en apparence, sans trop comprendre ce qui s'était passé, avec juste un mot : « N'oublie pas de te nourrir ! ».

Alors là, je ne comprenais plus ! Je portais encore mes habits déchirés et pleins de sang, cet accident n'avait donc pas été un rêve. Selon la date de ma montre, seulement 7 jours s'étaient écoulés, et pourtant, j'étais intact, indemne, comment était-ce possible ? Et qui m'a parlé ? Qui m'a amené dans ce taudis ! Et que signifie ce billet ? Me nourrir ? Mais bien sûr qu'il faut que je me nourrisse voyons, comme tous les humains ! J'étais complètement affolé, et on était au milieu de la nuit. Alors j'ai à nouveau entendu cette voix, si douce, si séduisante et si... dangereuse. Il m'a salué, et m'a dit « Bienvenu dans la non-vie, mon enfant », et alors, il m'a expliqué. Il m'a tout expliqué, qui il était, et surtout, qui j'étais désormais, et plus rien ne serait pareil ! Il attendait de moi que je l'amuse ! Et bien il pourrait être servi mon « ancêtre » ! Mais panique et rage se mêlaient en moi, et je n'avais pas franchement envie de rester en cette compagnie. J'ai écouté, j'ai eu peur, et je me suis enfui sous son rire sinistre. J'ai couru comme un dératé, et je suis arrivé à notre maison en un temps record. La peur donne des ailes dit-on. Je ne voulais pas voir les autres, je devais d'abord voir Sido. Il fallait qu'elle me dise ce qui s'était passé, il fallait qu'elle me dise que ce n'était qu'un mauvais rêve. Je me suis infiltré dans la chambre à coucher et l'ai réveillée. Riper ronflait du sommeil du juste. Elle a d'abord paniqué se croyant attaquée, puis elle a paniqué en me voyant vivant (ou à peu près), et puis enfin les larmes, et là j'ai su qu'elle ne crierait plus. Nous sommes allés au salon, sans un bruit. Elle m'a expliqué qu'ils m'avaient enterré il y a trois jours. Pas de corps, mais tout son sang étaient restés sur les lieux de l'accident, il n'y avait aucun doute. Quand au corps, il aurait très bien pu être projeté dans la mer qui était proche, comment le retrouver alors ? Puis cela a été à son tour d'écouter. Je lui ai tout dit, tout raconté. Je cherchais ses yeux, je voulais que ce soit faux. Mais elle m'a ausculté des pieds à la tête, sans oublier les dents. Trop de choses avaient changées. Et puis, je ne supportais plus la nourriture normale alors que je mourrais littéralement de faim. Il ne restait qu'à se faire une raison. Je n'étais ni mort, ni vivant, et j'avais besoin de sang. Nous avons décidé que personne ne devait savoir, pas même Riper. Ça lui faisait du mal de ne pas être totalement honnête avec son cher époux, mais elle pensait que pour ma protection, il devait en être ainsi. Je ne me leurrais pas. Je ne connaissais pas encore les us et coutume de mon nouveau peuple, mais je me doutais bien que là comme ailleurs, il y avait des proies et des prédateurs. Il ne me restait plus qu'une chose à faire, accepter ma condition, et surtout faire en sorte que mon « sire » veuille bien faire mon éducation, sinon il y avait de fortes chances que je sois perdu.

Mais la grande urgence était d'abord d'assurer ma « survie ». Je ne pouvais tout de même pas vivre dans la rue, et comme j'étais mort... Jusqu'à ce jour j'avais été l'héritier mâle, le garçon à qui il était normal de pardonner ses frasques, et encore plus de lui fournir les moyens de les commettre. Et comme ma soeur était « morte », du moins aux yeux de mère et père, je n'ai jamais manqué d'argent. J'avais reçu au fil des années ce qui formait un beau portefeuille d'actions et d'obligations, plus une chouette petite rente qui provenait des 15% de part de la société bancaire de père que j'avais reçu pour mes 20 ans. Pour mes 25 ans, mère m'avait aussi transféré les titres de propriété d'un manoir à Greenrock, à environ 50 kilomètres à l'ouest de Glasgow. C'était un grand manoir médiéval, entièrement meublé, avec de nombreuses terres et dépendances, toutes louées à des paysans de la région. Ce manoir seigneurial était dans la famille de ma mère de puis l'origine de sa lignée, et selon elle, il fallait qu'il le reste. Et puis, si sa valeur intrinsèque n'était pas si élevée que cela, il avait l'avantage de s'auto-entretenir, les dépenses d'entretient étant facilement couvertes par les locations. De plus, qui savait ce qui avait été oublié dans des malles ou des greniers obscurs au fil des années. Sans oublié que depuis que j'ai eu 25 ans, j'ai toujours bien gagné ma vie, et n'ayant jamais eu de goûts de grand luxe, j'ai eu l'occasion de mettre pas mal d'argent de côté. Seulement, moi mort, je n'avais plus rien, forcément. Encore heureux que j'aie eu l'idée, peu après le mariage de Sido, de faire un testament, lui léguant toutes mes possessions en cas de décès. J'avais mal accepté que nos parents la raie totalement de la vie. Elle s'est retrouvée sans le sou et entièrement déshéritée, et même si Riper gagnait bien assez pour subvenir aux besoins de la famille, ça ne passait pas. Ce morceau de papier était pour moi une assurance que Sido ne terminerait jamais à la rue... si j'avais su que c'était grâce à cela que je ne passerais pas ma non-vie à la rue ! L'ironie est risible !

Et oui, j'étais mort, mais il me fallait une identité de vivant, pour gérer des possessions, pour me protéger, pour m'amuser aussi d'ailleurs ! Et donc je devins, avec l'aide de Pavlov (qui avait une longue expérience de ce genre) Mickael Caïn, un jeune écossais, fils de bonne famille, vivant actuellement à St-Petersburg, où j'avais une adresse fictive. M. Caïn avait plusieurs comptes en banque bien garnis, un portefeuille d'action qui rendait bien, et il s'était fait vendre par Sido les 15% de part de la Parmiev Corp., ainsi que le manoir de Greenrock d'ailleurs. Et tout cela, le plus légalement du monde !

Quand à Sido, il n'était que justice qu'elle profite aussi de tout cet argent si élégamment cédé de mon vivant par père et mère. Sido me rendait tout mes biens, c'était la moindre des choses que de la dédommager un peu, tout de même. Hilde, elle, a accepté de se laisser installer dans ce qui autrefois étaient mes pénates, ça aussi c'est normal. Et c'est ainsi que Greenrock devint mon refuge. Mais pour l'instant je n'en avais, heureusement, jamais eu l'usage. En général la journée je dors bien caché dans la cave de Sido. Avec l'argent que je lui ai donné, elle a acheté la maison que nous louions autrefois, et elle a fait faire quelques travaux d'aménagement dans la cave. Une petite pièce supplémentaire a été creusée, dont les deux portes sont subtilement cachée. Une pour y entrer par la cave, et une sorte de tunnel qui débouche près du puis du jardin, qui sert de sortie nocturne discrète ou de sortie de secours. Ainsi la journée, quand je suis vulnérable, la famille, d'une certaine façon et sans même le savoir, veille sur moi, et la nuit, quand ils dorment, je peux les observer, être près d'eux et tout de même vivre avec eux, d'une certaine manière. Et puis, en cas de besoin, je sais que Sido fera tout ce qu'elle peut pour m'aider. Elle a toujours été femme au foyer, mais les cours aux Beaux-arts qu'elle a suivi dans sa jeunesse l'ont amenée à lier amitié avec quantité de femmes et d'hommes, de milieu si divers, que la liste serait trop longue à établir. Sans compter toutes les relations de ses enfants. Elle s'en est déjà servi pour moi, et avec tant de subtilité que personne n'a jusqu'à ce jour encore soupçonné mon existence. Oui, Sido m'est si chère ! Outre les soucis matériels, c'est grâce à elle que je peux maintenir mon lien avec l'humanité, je ne veux pas devenir une bête... Mais je suis conscient de les mettre ainsi en danger. Aussi, ce secret là est-il le plus précieux que j'aie.

Et c'est ainsi que je fis mon entrée dans la non-vie. Pas très glorieux, n'est-ce pas ? L'éternelle nuit a commencée pour moi il y a de cela 23 ans. Et depuis cette nuit là, je garderai toujours mes 30 ans. L'avantage, c'est que je n'ai pas de souci à me faire quant aux rides ou au ventre bedonnant ! Par contre l'humanité continue à tourner, elle. Ma soeur est toujours aussi belle, mais à 48 ans, elle n'est plus aussi jeune. Entre temps, elle a bien agrandi sa famille. Aujourd'hui, Jos et Jamie sont deux beaux jeunes hommes de 25 ans. Le premier veut devenir chirurgien, il lui reste encore un peu de chemin à parcourir, mais il est certes sur la bonne voie. Quant au second, il est ingénieur en génie civil, il vient juste de terminer ses études, et a trouvé une bonne place en ville. Cinq ans après les jumeaux, les gémeaux jumeaux, elle a mis au monde une petite fille, Lula, qui aujourd'hui a tout de même 20 ans. Elle vient d'entrer à l'université et veut devenir avocate. Et enfin, il y a le petit dernier, mon préféré, Gans, c'est un adolescent assez sombre de 14 ans. Mais surtout quand je le regarde, c'est moi que je vois, moi avant, moi quand j'étais jeune. La ressemblance est troublante... sans parler du caractère. J'espère que ma chère soeur n'a pas oublié tous les trucs qu'elle utilisait à cette époque pour me « contenir », parce que j'ai comme l'impression qu'elle devra ressortir sa délicate artillerie pour le petit dernier. Quant à ma mystérieuse jumelle, je crois que j'y pense encore plus que de mon vivant, car avec mon savoir tout neuf, le nombre de possibilités s'est encore décuplé. Et si c'était un vampire qui l'avait enlevée ? Si elle était devenue à présent une goule, ou une ténébreuse soeur de la nuit ? Si elle avait été dévorée ? Les humains sont-ils seulement coupables de ce crime ? Sans oublier les loups-garous ! Et que sais-je encore comme vile créature ! Et pourtant, je ne sais rien d'elle. Et c'est bien mieux, si j'avais su qu'elle ressemblait à Sido comme une goutte d'eau, je crois que j'en serais devenu fou. Un jour pourtant, il faudra bien que je sache, de cela, j'en suis certain.

Mais tout n'est pas si drôle que l'on pourrait le croire. J'ai développé quelques capacités intéressantes, mais il me reste pas mal d'expérience à acquérir, pour sûr ! Je suis un ventru, un sang-bleu, grâce à mon sire. Mais il y a quand même quelques petits inconvénients, à commencer par les femmes... Je craque toujours pour les rousses, mais disons que le côté pratique est plus, hum, disons que la machinerie est un peu morte, donc légèrement inerte, ce qui ne calme pas les pulsions bien entendu, parce que la tête elle, n'a pas oublié tous ces charmants petits souvenirs... Donc comment faire ? Je n'ai pas encore trouvé de solutions, mais je ne suis pas prêt à abandonner mes petits jeux ! Et s'il n'y avait que cela ! Mais enfin, je ne vais pas tout vous révéler tout de même, surtout pas mes faiblesses... ce ne serait pas vraiment à mon avantage ! Alors, laissez-moi vous parler un peu de celui qui transforma le jour en nuit...

Sa mère, Iékatérina Parmiev, était de la petite noblesse terrienne. Sa famille n'était pas très riche, ni n'avait de statut social très élevé. A cette époque là, la petite noblesse terrienne n'était guère beaucoup plus éduquée que la moyenne des moujiks, mais Iékatérina possédait un charme et une douceur conquérante. Un jour que le tsar Pierre le Grand, et la tsarine Catherine Ière de Russie étaient en route pour leur le lac Baïkal (la tsarine voulait y passer quelques jours de villégiature), ils durent s'arrêter, avec toute leur nombreuse suite, dans le petit village de Sassov, chef lieu du domaine Parmiev, car la tsarine faisait à nouveau une fausse couche. Naturellement, les Parmiev durent céder l'usage de leur manoir (mot exagéré pour décrire l'amas grossier de rondins dont il s'agissait en fait) à la suite royale. C'est au cours de ce « déménagement » que Pierre le Grand croisa Iékatérina, et il décida immédiatement d'en faire une dame de compagnie de son épouse, sans d'ailleurs demander l'avis de qui que ce soit. Mais il était tout puissant, après tout. Et c'est ainsi que Iékatérina se retrouva dans le « harem » royal. Car il était naturellement de notoriété publique que la plupart des 300 femmes de la suite de la tsarine avaient été « honorées » par le tsar, ce qui expliquait aussi la présence si nombreuse de bambins dans cette suite... Naturellement, ce qui devait arriver, arriva, et Iékatérina dut accepter de se faire honorer, pour la première fois de sa vie, par ce rustre ventripotent et puant. La seule chose heureuse qui succéda à cet affront, fut la naissance de son fils, le 25 mai 1703. Fils qu'elle prénomma Pavlov. Ce fils fut son seul bonheur, et elle était bien décidée à tout faire pour lui assurer une place de choix dans la société russe. Après tout, elle était très proche du pouvoir central, elle n'était pas très érudite mais ne manquait pas d'intelligence, son charme surpassait celui de ses concurrentes... Et c'est ainsi qu'à force de manipulations, elle permit à son fils Pavlov, le castard du tsar, d'obtenir d'abord la noblesse, il avait été fait Duc, et qui plus est, de se retrouver parmi les 20 plus hauts officiers du tsar. Il faut reconnaître que pour l'art de la guerre, Pavlov semblait avoir un don, il avait hérité du charme et de l'intelligence de sa mère, mais de la prestance, de la force et de la haute stature de son père. Bref, c'était un homme redoutable, qui avait été très bien préparé aux réalités de la vie par sa réaliste mère.

En l'an fatidique 1733, Pavlov fut envoyé à la tête d'un détachement pour réprimer un soulèvement paysan dans la province, non loin de St-Petersbourg. Lorsqu'il arriva au village rebelle, avec ses hommes, ce fut pour trouver une véritable hécatombe. Tout le village avait été repeint en rouge sang, il ne restait même plus un animal en vie. Des dizaines de corps, exsangues, déchiquetés, les morceaux, éparpillés sur des mètres et des mètres. La rébellion avait été matée, mais d'une façon si répugnante, qu'il était bien décidé à en retrouver les coupables. Ou plutôt, le coupable... Et il le retrouva sous le porche de la dernière maison du village, en train de finir de vider une petite fille de son sang. Il en était couvert, les yeux exorbités, et fous, il ne pouvait plus que grogner... Il avait perdu toute humanité. La bête acculée et folle a alors décapité la première ligne de soldat, si rapidement que personne n'a eu le temps de réagir, et avant que Pavlov ait finit de battre des cils, cette bête immonde était accrochée à son cou et buvait goulûment ! Après cela, tout est devenu flou. Il s'est réveillé, couché au milieu des morceaux de cadavres de ses soldats, la bête avait disparue, et lui n'était plus du tout le même.

Il a dû apprendre à maîtriser son nouveau corps, et ce n'était pas facile, il a dû renoncer à sa vie, à sa famille, au soleil, alors fou de rage, il a traqué la bête, mais n'a jamais pu la retrouver. Isolé, il a dû apprendre à survivre parmi les ombres, mais il était surtout suffisamment intelligent pour savoir que la vie est plus « prolifique » si l'on arrive à s'intégrer dans la société humaine... Alors il changea d'identité, joua de son charme pour s'infiltrer dans la haute noblesse prussienne, il devint le grand ami du prince Frédéric II, et l'amant de sa soeur, la princesse Sophie Wilhelmine. Il gravita autour des plus haute sphères, charma les plus belles dames, changea de « peau » tous les 15 ou 20 ans, créa un réseau de relations des plus « utiles »... Il accumula une grande fortune et une grande érudition. Mais surtout, il n'oublia jamais de surveiller sa lignée !

Car à 20 ans, nobliaux tout frais, il était tombé éperdument amoureux d'une jeune duchesse, qui n'était pas de la plus haute noblesse, mais qui n'était pas mal cataloguée dans la table des rangs. Aussi Iékatérina accorda sa bénédiction à ce mariage d'amour, et aussi le père de Ludmilla fut d'accord, car pour sa fille, il s'agissait d'une bonne promotion sociale. Mais Pavlov était souvent en mission, et donc loin de son épouse. Aussi jusqu'à son éveil, n'eurent-ils que le temps d'avoir un fils, Ivan. Et c'est ainsi que débute la lignée Parmiev. Une lignée, qui n'a jamais su à quel point elle était étroitement observée.

Tanas
Tanas, vu par Aquilegia