Le Monde des Ténèbres

August Sven

Page rédigée en majeure partie par Bruno
Discret, sombre et amnésique, Sven affronte les mystères de sa vie armé d'un arc et d'un courage infaillibles. Long manteau noir, gilet à carreaux sur chemise noire, cravate rouge, Sven impresionne, et chasse sans états d'âme...
Je ne connais M. Sven que depuis peu, mais je peux vous assurer que jamais je n'ai eu d'employé aussi efficace... et étrange. Son engagement par exemple fut une véritable surprise. Il est arrivé une nuit à l'opéra, après la dernière représentation du Lac des Cygnes, et il devait bien avoir demandé à tout le personnel, acteurs et musiciens, où il pourrait me trouver. Par chance, j'étais présent.
J'ai tout de suite sût qu'il voulait quelque chose de moi, et je ne dois dire que je suis très avare en la matière, mais ce jeune homme s'était présenté de la meilleure des fa­çons, il avait de la conversation, un bon goût, et une présence tout à fait fascinante qui me retinrent longtemps.
Une fois rentré à ma résidence, je ne cessai de me demander comment j'avais pu don­ner un travail, un toit, à un homme que je ne connaissait que depuis quelques heures. Malgré mes inquiétudes, et mon éternel questionnement à son égard, il se révéla plein de surprises.
Il n'est jamais absent, jamais en retard. L'Opéra Walpurgis est réputé pour ses spec­tacles grandioses, ses soirées animées, ses nuits interminables, et son niveau d'excel­lence et de luxure demande la plus sérieuse des disciplines. J'ai perdu quelques em­ployés récemment, parfois dans des circonstances étranges, et je ne saurais toléré, tout comme nos clients, la moindre faute de goût. Il ne semble jamais harassé ou fatigué, il a un regard vif, à la fois sérieux et accusateur, une attention de tout les instants. En peu de temps, il connaissait par coeur la liste, longue, de nos plus fidèles clients. Il savait qui aimait quoi, avec quelle fille et ou, il aimerait passer le reste de sa soirée après l'opéra ou la séance. Il surprenait sans cesse par sa quête, j'oserais dire de perfection, mais si je pense qu'il cache quelque chose.
Mais cela ne s'arrête pas là. Non content de servir de valet et de guide à travers l'im­ mense bâtiment qu'est mon opéra, il se trouve qu'il s'occupe aussi des livraisons de nuit, il sert aussi en coulisses, où il semble connaître tout aussi bien notre troupe de danseuses et d'artistes. Il parle couramment l'anglais et le russe sans accent, et me dit avoir appris le français et l'espéranto, ce que j'ai peine à croire tant il parle ces langues avec aisance. Je ne lui connaît pas de vie en dehors de son travail , seulement une seule connais­sance, qui vient lui rendre visite parfois juste avant l'aube.
Un homme, un russe d'après sa voix suave et enrouée. Il ne reste pas très longtemps, mais ils discutent âprement, parfois violemment. Je parle quelque peu le russe, et il m'est arrivé quelques fois de les entendre de loin, j'ai pu reconnaître des mots comme devoir, rassemblement, mission, enquête, ou famille. Cet homme à la carrure forte et au front prononcé semble être une sorte de père, bien qu'il semble ne rien partager de commun, leur regard est trop différent.
J'ai très vite su oublier les mystères de M. Sven, le fait qu'il ne sorte jamais, qu'il loge dans
la pièce au dessus de l'auditoire, son jeune teint blafard (tout le monde semble penser qu'il souffre de photoallérgie et qu'il ne peut sortir au soleil, ce que je doute). Je vois tellement de chose étrange dans mon opéra, et M. Sven s'y intègre parfaitement, ce qui a laissé mes questions en suspend, jusqu'à hier, peu avant minuit.
Il est arrivé en courant, après une visite de son étrange ami, avec une sorte de bestialité dans le regard. Il me demanda qu'après ces dix-huit mois passé à mon service, il allait prendre quelques vacances, et réduire ses heures de travail. Vu ses états de services, et l'affection que j'avais pour sa personne et son dévouement unique, je ne puis qu'ac­cepter. Il repartit, dans sa pièce je suppose, et ne reparut plus.
Dans un excès de curiosité, je m'y rendu, j'avais les clés de toute la demeure et je vou­lais mettre au clair l'étrange personnage qu'était M. Sven.
La surprise fut étrange, effrayante.
En ouvrant la porte, je découvris alors une pièce baignée dans l'ombre la plus inquié­ tante, sans fenêtres. Dans le coin, posé à côté d'un carquois, un immense arc noirci, large et tendu s'appuyait contre un mur épinglés de photos et de noms. En dessous, sur une table de vieux bois de chêne, un pistolet 9mm rutilait à côté d'un sabre droit et court. Je le pris et le soupesai. Son poids, et sa couleur argent me firent froid dans le dos. Tandis que j'en vérifiait le tranchant, je me rendis compte que le mystère de M. Sven, avait pris une ampleur inquiétante.
Mon doigt me fit mal au moment où la porte d'entrer claqua.
Je vis mon erreur, rouvrit la porte, et la verrouilla. Je m'élancé dans le couloir d'un pas rapide, ajustant mon col et épongeant la sueur qui perlait sur mon front. Arrivé à la haute porte qui menait aux étages inférieurs, je me retournai et fut satisfait de ne voir personne. J'ouvris la porte, et je le vis là, dans toute sa présence, cette fois animale et violente. Il me laissa passer, sûrement surpris de me voir ici. Il me salua comme à l'ac­coutumée et pris le chemin d'où je venais.
Avait-il remarqué mon front humide, mon doigt en sang, ou la peur qui émanait de mon pas pressé ? Je n'en sais rien, mais depuis, je deviens paranoïaque et chacun de ses regards me paraissait être des pics acérés, des menaces froides et distantes. J'ai peur. Je suis terrifié.

Sven
August Sven, vu par Aquilegia