Alberto Varanda

Alberto Varanda

Son site officiel

interview réalisée en 2006

Bibliographie:

- La 22 millième dimension
- Bloodline
- Elixirs
- La Geste des Chevaliers Dragons
- Paradis perdu
- Reflets d'écume

Quand tu étais enfant, quel métier voulais-tu faire?

Quand j'étais petit, j'ai toujours voulu dessiner, pas forcément faire de la BD, mais du dessin.

Tu es monté dans le nord de Paris à l'age de trois ans. Comment t'es venue l'idée de faire de la sculpture sur bois?

Je ne regrette pas la formation, cela m'a permis d'avoir une vision en 3D de mes dessins. Pourquoi la sculpture? parce que pour mes parents, le dessin, c'était flippant. Ils voyaient où pouvait mener la sculpture, mais pas le dessin. Leur dire que la sculpture était un métier les a rassurés. Avec l'aval de mon prof de dessin, qui m'a encouragé, j'ai pu me diriger vers le dessin. Il faut dire qu'avant, on ne m'encourageait pas beaucoup à suivre cette voie.

Comment as-tu découvert la BD?

Médicalement, tous les mercredis, j'étais cloué au lit. Des amis m'amenaient des BD. J'ai commencé avec Astérix. J'ai lu tous les albums.

Qu'est ce qui t'a donné l'envie de faire du dessin?

Du dessin? C'était sûrement de la thérapie. Je ne me suis pas dit, un jour, « je ferai du dessin ». C'était là dès le départ (il montre sa tête). Je me souviens de mes parents me cherchant partout dans la maison, parce qu'il n'y avait pas de bruit. J'étais par terre en train de griffonner. On m'a toujours connu un crayon à la main. Je pense que c'est maladif.

Après la sculpture sur bois, comment se sont déroulées tes études?

A Paris pour les Beaux-Arts, mais pas longtemps. Ça ne me parlait pas. C'était peut-être trop libre. Il me fallait un cadre. Si je n'en ai pas, je crois que je fais n'importe quoi. La pub et l'illustration me parlaient plus. C'est plus proche de la BD que je fais aujourd'hui, comparé avec la peinture que j'ai dû apprendre aux Beaux Arts.

Qu'est ce qui t'a conduit de la pub à la BD?

C'est le hasard d'une rencontre, comme souvent. Pendant mes études, j'ai assisté une décoratrice qui travaillait chez Fauche. J'en ai profité pour montrer un book avec plein de croquis. Ça n'était pas de la BD, juste des dessins. Comme il y avait plein de dessins humoristiques, Jean Léturgie et Fauche m'ont proposé de crayonner du Rantanplan pour la presse.
J'ai donc terminé mes études en crayonnant Rantanplan. Janvier encrait, et Morris signait.

As-tu travaillé sur le film « Lucky Luke »?

J'ai fais des modèles sheet sur bleu. Ce sont les personnages que l'on présente, et qui servent de modèle aux animateurs. Ensuite, on dessine le même personnage dans plein de positions et de vues différentes. C'est très laborieux, ça ne m'a absolument pas plu. Je l'ai fait parce que je voulais toucher au milieu de l'animation, mais je n'en garde pas un bon souvenir.
Si je devais en refaire, le story-board ou la création des personnages m'intéresseraient davantage.

Comment s'est passée ta rencontre avec Franquin?

Cette rencontre a eu lieu grâce à Jean Léturgie qui travaillait sur les scénarios des Tifous, avec Delporte. C'était l'adaptation de la DB en dessin animé pour FR3. Je devais dessiner les petits personnages à la façon de Franquin, pour d'éventuels produits dérivés. J'en ai fait des tonnes chez moi, mais il fallait les montrer au maître.
Jean avait rendez-vous, avec Delporte et d'autres, à Bruxelles, chez Franquin. Il m'a proposé de m'emmener. C'était génial de voir Dieu en personne. C'était quelqu'un d'une très grande gentillesse. Il m'a reçu à bras ouverts, et m'a montré son atelier au sous-sol. C'était la caverne d'Ali-baba. Il y avait des dessins au fusain géants de Mademoiselle Jeanne.

Cette rencontre t'as-t-elle confirmé dans ta voie?

Franquin m'a convaincu de l'exigence qui était nécessaire dans ce métier. Voici une anecdote : il griffonnait des vaches pour un arrière plan dans Gaston Lagaffe. Il dessinait le museau de l'animal : pendant des heures s'il le fallait, il travaillait sur ce mufle, dessinant, griffonant par dessus, jusqu'à ce qu'on ait l'impression que ça suinte, que l'on sente l'humidité du museau. Il était déjà reconnu, il avait déjà plein d'albums derrière lui et cette exigence pour un arrière plan me sidérait. Je me disais que si lui avait cette exigence, moi qui était un « jeune branleur » (rire), il me faudrait faire preuve de la même volonté.
Ça a été un déclic : la révélation de la nécessité d'une exigence absolue dans mon travail.
Et ensuite?
A ce moment là, je savais ce que je voulais faire. Quand j'ai rencontré Jean, mon parrain dans la BD, il m'a proposé de faire un album chez Alpen Publisher. C'est lui qui m'a poussé et soutenu. L'album a été réalisé, mais n'a pas été publié car Alpen a licencié beaucoup d'auteur à cette époque. Au moins, j'avais un album fini; c'est Jean qui m'a motivé à continué.

Tu as aussi rencontré Morris?

Je l'ai croisé par hasard. Par contre, je connaissais Janvier, l'encreur.

Et comment as-tu rencontré Wasterlain?

Quand j'étais jeune, Fournier et Wasterlain ont vu des planches que j'avais réalisées, dans le cadre de la communication pour air-inter, présentées dans une expo. Il m'ont dit que je devrais travailler chez Spirou. Wasterlain m'a dit qu'ils allaient en parler à la rédaction dès le lendemain, et que je pourrais appeler Spirou de leur part.
Quand j'ai appellé le directeur de Spirou en Belgique, il m'a dit « Oui, on m'a parlé de toi, envoie moi ce que tu fais. »
Quelques semaines plus tard, on m'a proposé de dessiner quelques planches pour le sommaire, avec Gilson comme scénariste.
Pendant plusieurs semaines, c'est ce que j'ai fait, avec en plus quelques illustrations intérieures. J'étais ravi de travailler chez Spirou, mais quand on m'a demandé de faire des projets plus conséquents, j'ai été un peu dépassé. Je ne connaissais pas de scénariste, à part Jean qui était déjà très occupé. Je n'ai donc pas pu donner suite à la demande de la rédaction.
Ensuite, j'ai fais beaucoup d'illustrations pour les jeux de rôle, ce qui m'a conduit à mettre la BD de côté.

Quel bilan as-tu tiré de cette période?

Ça m'a rapporté un minimum d'expérience. J'ai compris que ce n'était pas si simple que cela, qu'il y a beaucoup d'échec. On n'y arrive que si on ne se décourage pas. Il y a énormément d'occasions de se démotiver, de faire autre chose. Certains jours, je n'avais qu'une envie, c'était de refaire de la pub. Au moins, j'aurais un salaire, et j'arrêterais de m'angoisser. Et puis finalement, non, le métier que j'aime, c'est la BD.
Il faut insister sans relâche, c'est ce que j'ai appris. J'aimais bien aussi la vie que je menais. Les gags pour Rantanplan m'ont permis de louer un petit studio en plein Paris, à Bastille. Pendant un temps, j'ai mené la vie de bohème. Ce n'était pas évident au quotidien, mais avec le recul, cela reste de bons souvenirs.

Ça t'a appris le respect du public?

Je ne sais pas, mais le respect du travail, oui. Ensuite, lorsque l'on a le respect de son travail, on a indirectement le respect du public. A partir du moment où l'on fait son maximum, on n'a rien à se reprocher, que le public soit là ou pas.

Tu as travaillé chez Tintin Reporter. Qu'y faisais-tu exactement?

C'était une revue exclusivement française, je crois, un genre de magazine pour enfant. Ils faisaient beaucoup de reportages photo sur le monde, la planète, c'était très écolo. On me demandait de décortiquer une info pour l'illustrer en une page. Quand je voyais un sujet aux infos, je proposais l'idée, puis on me laissait carte blanche.
Par exemple, dans le numéro spécial Hergé « Dessine moi une fusée », on devait faire une BD d'une planche, ou une illustration. J'ai vu des dessins de gens que je connais aujourd'hui, comme Mourrier.
J'avais, grâce à la pub, la capacité de m'adapter à différents styles graphiques. On me demandait de bosser tantôt comme Hergé, tantôt comme Jacob. Un défi rigolo, mais pas super excitant à la longue.

Comment es-tu passé de la BD au jeu de rôle?

Je ne faisais pas de la BD à proprement parlé, juste de la publication : il n'y avait pas d'album en vue, et pas beaucoup d'argent. Il fallait bosser ailleurs aussi.
Grâce à l'illustratrice dont j'ai parlé plus haut, j'ai donné des cours de BD. Ça m'a toujours étonné de pouvoir donner des cours de BD en n'en faisant pas moi-même... Là, un de mes élèves - un adulte, faisant du jeu de rôle – m'a présenté aux futurs créateurs du jeu « In Nomine » et la boîte Siroz..
Ils cherchaient un illustrateur pour la création d'un JDR français et d'une boîte. Le fantastique, ça me parlait un peu : j'avais fait pas mal d'illustrations dans mon coin. J'ai eu un rendez-vous à Versailles, chez Croc, le créateur du jeu, et son équipe. J'étais un peu impressionné. Je leur ai montré des dessins qui étaient plus « pros » que ce qui se faisait dans le monde du JDR à l'époque. Ça leur a plu.
C'était très mal payé, mais par contre il y a avait pratiquement une extension par mois. J'ai bossé pendant six ans non stop.
J'avais beaucoup de travail, ça me plaisait, mais j'ai fini par me lasser. Je me rendais compte que je tournais en rond.

Comment es-tu revenu à la BD?

J'ai fais un bilan : au bout de six ans, je ne gagnais toujours pas mieux ma vie, et je ne faisais toujours pas de BD. Heureusement, beaucoup de personnes écrivaient des nouvelles et des scénarios pour ce jeu. J'ai rencontré Gérard et Anne, qui depuis sont devenus Ange. Eux, ils avaient fait de la BD auparavant : « les crocs d'ébène ». Comme ça n'avait pas marché, ils étaient eux aussi un peu revenus de la BD.
C'est Croc qui nous a mis en contact, car ils recherchaient des dessinateurs pour différents projets. Ils m'ont proposé « Reflet d'Écume. » Au départ, ils m'avaient proposé autre chose, qui ne m'avait pas convaincu. En plus, j'avais un peu peur de me lancer dans la BD, d'abandonner le JDR.
Du coup, mon dessin pour le premier projet était un peu mou. Vent d'Ouest l'a jugé très mauvais. Je pense que ça m'a vexé. Comme je n'avais pas donné le meilleur de moi même, ils m'ont donné d'autres planches à faire. J'ai réalisé une planche très grande en couleurs directe, un travail de fou. Ils l'ont montré à Vent d'Ouest, puis ils ont signé le contrat.
Le premier album est paru sans prépublication. Je l'ai fait en couleurs directes, assez proche de l'illustration, entre le jeu de rôle et la BD à venir. Je pense que c'était une bonne parenthèse.

Ça t'a mis le pied à l'étrier?

Oui, ça a été mon premier album. Comme pour tout premier album, j'étais convaincu que c'était le meilleur album du marché : le plus joli, le mieux écrit, le mieux dessiné, et qu'il allait forcément se vendre beaucoup, que j'allais être riche et célèbre.
En fait, ce n'était pas du tout ça. Ce n'était pas le meilleur album, le dessin n'était pas forcément top, le scénario était un peu compliqué et il ne s'est pas vendu. Je ne suis pas riche, et pas célèbre non plus (sourire), mais c'était un premier album et on a embrayé sur le second. On redescend vite sur terre. En tous cas, il y avait la motivation.
On avait signé pour cinq album, mais l'éditeur nous a arrêté la série au second. Nous étions un peu tristes.

Ensuite, vous avez embrayé sur Blood Line...

Oui. Entre temps, j'avais fait un album en noir et blanc, avec un centre social, avec les habitants du quartier. Je revenais au graphisme, sans couleurs directes. Je l'avais fait pour partager une expérience de vie avec des gens. Mon directeur de collection de l'époque, chez Vent d'Ouest, est tombé par hasard sur ce bouquin, et m'a proposé de laisser tomber la couleur directe pour faire du graphisme à l'américaine.
Ange pensait justement à une ré exploitation des « Héritiers », qu'ils appelleraient « Blood Line », avec des graphismes en noir et blanc, pour la collection « Global » chez Vent d'Ouest. Ils cherchaient un dessinateur. Quand les directeurs de collection ont vu ce projet, ils me l'ont proposé.
Un polar à l'américaine, un graphisme « comics », je ne savais pas si j'en serais capable. Nous sommes partis sur une histoire de 136 planches.
L'album n'a pas forcément marché, mais pour la première fois la critique et le regard des professionnels ont été bons. Nous commencions à exister dans le milieu de la BD.

Du semi-réalisme de Reflet d'écume, tu es passé au style « Comics » pour Blood Line.

Sur Blood Line, cela correspondait à la recherche d'un style graphique. Tous les poncifs y sont passés... Enfin, tous les dessinateurs américains que j'aime bien, ainsi que certains français, comme Vatine, et d'autres.
Très vite, pourtant, je me suis démarqué. Je ne voulais pas « dessiner comme ».
Par la suite, chacun fait en fonction de son vécu et de sa sensibilité. On ne dessine donc jamais tout à fait comme quelqu'un d'autre.
Petit à petit, mon trait, tout en restant ancré dans le comics, s'est épuré de plus en plus. Dans Paradis Perdu, je pense que je suis arrivé à un graphisme réaliste. En tous cas, il me correspond. C'est entre le comics et le franco-belge. Entre la ligne claire et le clair-obscur.

Blood Line a été prévu en combien d'album au départ?

En deux volumes de 130 à 140 pages, soit l'équivalent de sept ou huit albums franco-belges. La collection « Global » n'a pas fonctionné, et l'éditeur a décidé de ne publier que trois albums en format franco-belge. Les albums ont été colorisés, parce qu'apparemment, le noir et blanc ne plaisait pas au grand public. Ensuite, il y a eu des complications, des fâcheries, et l'album n'a pas marché.
Il a été mis en stand-by, malgré son potentiel et l'éditeur nous a proposé autre chose.
Nous avons pris ça comme un défi, et comme un jeu. On s'est dit « On va faire un bouquin qui marche ».
Les dragons, ça plait. Le titre fut « La Geste des Chevaliers Dragon ». Il y aurait des jeunes filles un peu dénudées, avec des armures qui ne servent à rien. On a décidé de prendre tous les poncifs du genre, par jeu, mais avec une histoire crédible, pour ne pas faire n'importe quoi.
Ça a marché.
J'étais un peu triste, parce que cet album a été écrit pour être vendu, et il a été vendu. Pour Blood Line, nous n'avions pensé à rien sinon au plaisir d'écrire, et j'aurais aimé qu'il trouve son public.

Est ce que tu aurais aimé reprendre Blood Line pour l'achever?

Normalement, ça ne devait pas se terminer comme ça. Il y a eu un quatrième tome, dessiné par quelqu'un d'autre. Il devait continuer la série, mais il y a peut-être eu d'autres fâcheries.
Moi, je n'étais déjà plus chez Vent d'Ouest à l'époque, car, à la fin de la Geste, j'ai été contacté par un autre éditeur.

Pourquoi n'as-tu illustré qu'un album de la Geste?

Je n'avais pas envie de faire de suite à la Geste. Avec Ange, on avait prévu un concept à l'américaine: toujours le même scénariste, mais un dessinateur, et donc un graphisme, différent à chaque fois.
Vent d'Ouest a refusé le concept. Ils voulaient que ce soit moi qui dessine.
De mon côté, j'avais décidé que je ne ferais qu'un seul album avec des dragons, et pas deux. Je n'ai plus travaillé pour eux.
Ensuite, j'ai eu l'opportunité de développer un autre projet chez Soleil, chez qui je suis toujours.
Le concept de la Geste a depuis été repris chez Soleil, et ça fonctionne très bien.

Qu'est ce qui t'intéresses dans l'héroïc fantasy?

Je préfère une épée à un flingue car j'ai du mal à dessiner un pistolet. Je n'ai pas la culture des armes. Buchet par exemple, aime les armes et la SF, c'est son truc.
La fantasy, c'est les entrelacs, les drapés, les enluminures que j'aime. Pour le deuxième tome d'Élixirs, j'ai dessiné un laboratoire, et là tout y est passé. Le costume de Dark Crystal pour la bestiole, des fioles, des blasons, des poudres, des parchemins...
Pour moi, la fantasy, c'est tout ce qui est ornemental.

Quelles sont tes références?

Je ne m'inspire pas réellement de quelque chose de précis.
On se constitue tous une sorte de bibliothèque dans notre inconscient. Quand on voit un film, qu'on lit un roman, on retient certains éléments, un cadrage, une armure... qui nous servent ensuite de point de départ.
C'est ça, la création : piocher à gauche et à droite...

Les dessinateurs qui t'ont succédé à la Geste semblent avoir fait un effort pour conserver ton style.

Au départ, c'était pour garder une certaine cohérence. Maintenant, il n'a pas été exigé qu'ils respectent mon travail.

Tu as reçu des prix pour la Geste en 99.

En effet. Pour chaque album, il y en a eu, sauf pour Blood Line, paradoxalement.

Comment en es-tu venu à dessiner pour des collectifs comme « Dinosaures » chez le téméraire?

C'était une boîte qui faisait des récits historiques sur les villes du Nord. Ils voulaient se lancer dans la « vraie BD », et ils ont commencé avec ça. Il y avait Crisse en couverture, pour attirer le lecteur. Je ne sais pas pourquoi on m'a contacté... Peut-être que Crisse a donné mon nom.
Quoi qu'il en soit, beaucoup de gens ont travaillé chez le Téméraire. Quand la boîte a fait faillite, tout le monde est repartit, soit chez Soleil, soit chez Vent d'Ouest.

Quelles ont été tes impressions en rencontrant Crisse?

La première fois que j'ai vu ce qu'il dessinait, dans une grande surface, je ne savais pas qui c'était, car je n'avais aucune culture « BD ». Il faut dire que je ne savais même pas qu'il existait des librairies spécialisées...
Les dessins de Crisse, je les trouvais mignons, jolis. Après, dans un cour de BD, j'ai vu beaucoup de gamins avec l'épée de Cristal, mais je ne savais toujours pas qui était Crisse.
Ensuite, je l'ai rencontré pour les dix ans de Vent d'Ouest, à Bordeaux. J'avais déjà fait Blood Line, ou alors c'était en prépublication dans Gotham. Il m'a complimenté sur mon travail. J'étais flatté, car si je connaissais don oeuvre, je ne connaissais pas le bonhomme. Il donnait aussi des cours de BD, et donnait Blood Line en exemple à ses jeunes dessinateurs.
C'était la première fois que je rencontrait un professionnel qui me faisait des compliments, et qui était si gentil.

Crisse nous a dit qu'il était autodidacte. Toi, tu as pris des cours?

De BD, non, je suis autodidacte.

L'anatomie, tu l'as apprise tout seul?

Non, ça je l'ai appris à l'école. Je la maîtrisait un peu, mais ce n'était pas mon fort. J'ai appris aussi que Bernie Wrightson n'en a jamais fait, ce qui est un peu bluffant, quand on voit son Frankenstein, par exemple.
Pour ma part, j'ai appris l'anatomie en faisant des croquis de nus.

Comment s'est passée ton arrivée chez Soleil?

Ce sont eux qui m'ont contacté. J'ai trouvé que leur catalogue s'était bien étoffé depuis dix ans. Il y avait Froideval et Ledroit (Shaa), Crisse...
J'ai eu envie de bosser pour eux et maintenant j'en suis toujours content.

Tu es venu avec Ange chez Soleil?

Oui, c'était une des conditions : qu'ils écrivent les scénarios de mes futures séries.

Après les deux tomes de Paradis Perdu, tu as changé de scénariste et tu travailles avec Arleston sur Elixir. Comment ça s'est décidé?

On s'est rencontrés par hasard au festival de Solies. Je devais dessiner la Geste m'a croisé en disant « J'aime bien ce que tu fais. »
Personnellement, n'ayant jamais lu Lanfeust, je ne pouvais lui retourner le compliment. Il a dit « Peut-être qu'un jour nous travaillerons ensemble », comme une boutade.
Entre temps, j'ai fait Paradis Perdu.
On s'est recroisé dans un autre salon, et il a de nouveau évoqué une collaboration. Sur le fond j'étais d'accord, mais sur une histoire plus légère que Paradis Perdu, pour lequel je me suis énormément investit.
Il a acquiescé. Ce serait une expérience, quelque chose pour se faire plaisir, une série de gags, ou de récits courts. De fil en aiguille, l'histoire s'est étoffée, et on s'est rendu compte qu'on était partis pour un album, ce qui faisait plaisir à l'éditeur.
J'ai commencé à mener deux albums de front : Paradis Perdu 2 et Elixir 1. On s'est rendu compte que j'allais pénaliser tout le monde, car le délai de parution allait être beaucoup trop long, pour le scénariste comme pour le lecteur. C'était ingérable.
Un jour, au cours d'une réunion avec le Directeur de publication et l'éditeur, il a été décidé de confier Paradis Perdu à un autre dessinateur, ce qui permettrait d'avoir des délais de publication raisonnables.

As-tu des regrets?

J'aurais bien aimé continuer Paradis Perdu, car je m'y étais beaucoup investit. Je me sentais proche des personnages, de l'univers graphique et du visuel. L'ambiance sombre, le cuir les chaînes, l'Enfer et le Paradis, ça rapellait « In Nomine ». C'était vraiment mon univers fantasmagorique. J'aurais bien mené les deux de front... Ou plutôt, avancé Elixir rapidement, et de temps en temps réalisé un Paradis Perdu, comme une pierre qu'on pose à chaque fois.
Mais ce n'était pas gérable pour les gens autour de moi.
Évidemment, je pense que Xavier fait du bon boulot, mais je ne feuillette pas les albums. Je préfère oublier.

Est-ce différent de travailler avec Ange par rapport à Arleston?

Les méthodes de travail sont différentes, oui. Le rendu de ce que livre Ange est plus littéraire, il y a davantage de texte et moins de découpage. Je suis libre du découpage et de la mise en scène. Je peux ajouter ou supprimer des cases.
Avec Arleston, on a pris le pari de bosser pour le grand public. Les planches sont très classiques, linéaires, en quatre bandes. Cela apporte une lisibilité que je n'avais pas forcément dans Paradis Perdu. Si le lecteur de comics s'y retrouvait, le lecteur de BD franco belge pouvait être un peu largué.
Arleston a commencé en dessinant, donc il a quelques notions. Il sait ce qu'il peut intégrer en une case. Il me prépare un pré-découpage, avec l'emplacement des cases.
Je me surprend : d'une part, je suis obligé de dessiner dans un carré, sans adapter la case aux personnages et d'autre part, je dois trouver le cadrage le plus pertinent pour rentrer une scène dans un cadre précis. C'est un bon exercice. Ensuite, je me rend compte que tout coule de source. Il est rare que j'ajoute quelque chose. Je prend son découpage, je le décalque et je dessine dedans.

Et en ce qui concerne le design des personnages?

Dans les deux cas, bien sûr, je respecte leur description, mais en général, ils me donnent surtout une description psychologique, qui va déterminer leur physionomie.
Pour les costumes, soit j'en ai une idée visuelle évidente, que je propose – en général, ça convient – soit je n'en ai pas, et je suis obligé de leur demander des éclaircissements.
Gabriel, de Paradis Perdu, ne devait pas être habillé de cuir au départ. Comme je venais de voir « Édouard aux mains d'Argent », qui correspondait parfaitement à l'image que je me faisait d'un ange, Gabriel, pour moi, devait être en cuir.
Au départ, Ange et moi n'étions pas d'accord... On a insisté, on s'est battus, et finalement, il est tout à fait identifiable en cuir, Gabriel.
Pour Tolric, le héros d'Élixirs, il fallait coller à sa personnalité, un peu déconneur, un peu branleur, voyageur, qui manie mieux la langue que la lame. J'avais pensé à Sinbad, je le voyais brun, avec une barbiche, venant d'Orient. J'ai proposé tout cela à Arleston, et il a accepté.
Pour la princesse, par contre, il n'avait pas du tout d'idée, il avait juste brossé son caractère. Je l'ai faite petite, un peu boulotte, avec les cheveux bouclés, mais elle ressemblait un peu trop à Pélisse de la Quête de l'Oiseau du Temps. Pour m'en éloigner, j'ai pensé à la faire asiatique. Dans la version finale, elle n'est plus du tout asiatique, mais cela m'a permis de trouver une coupe de cheveux particulière, des fringues originales etc... On ne m'a rien imposé.

Le héros d'Élixirs a un petit côté Han Solo (le gilet)?

Oui, mais c'est totalement involontaire. Inconsciemment, on est influencés par ce qu'on aime.
Par exemple, je structure généralement mes couvertures en triangle, comme Frazetta. J'apprécie beaucoup ce qu'il fait, alors je mets une nana, un mec... Quand on regarde les couvertures de Paradis Perdu, on retrouve ce style de composition. Je me force parfois à changer, mais je trouve que c'est une composition parfaite, alors... (sourire)

Ton graphisme a bien changé entre Paradis Perdu et Élixirs...

Je n'ai pas forcément changé de graphisme, mais j'ai changé de sujet. Or, pour un sujet comme Élixirs, une anatomie réaliste ne convenait pas... Il y a beaucoup d'humour, donc j'ai opté pour un style semi-réaliste.
Le début de l'album a été un peu laborieux parce que j'avais du mal à déterminer mon trait. Le héros passait d'un graphisme assez réaliste à plus du tout réaliste, ça ne me convenait pas. Petit à petit, je suis arrivé à trouver un bon équilibre, avec le semi-réalisme.
Il y a une exigence anatomique – je ne fais pas de bras caoutchouc, les personnages ont une morphologie correcte, mais je peux me permettre certaines exagérations, des grimaces, que je ne pouvais pas faire dans Paradis Perdu. Ça c'est plutôt un plaisir.

Les femmes sont plutôt...

rondes (rire). La garde du corps ne devait pas l'être autant. Dans le tome 2, elle revient un peu à une stature semblable à celle des héroïnes de la Geste, c'est à dire correspondant au stéréotype de garde du corps.
Par contre, la princesse me va très bien. Ceux qui la trouvent trop ronde, tant pis, car en ce qui me concerne, elle correspond parfaitement à ce que j'avais en tête.
Il paraît juste que je leur fais des cuisses un peu fortes. Dans « Paradis Perdu », mes héroïnes avaient aussi de bonnes cuisses. C'est aussi à ça qu'on reconnaît mes personnages. En tous cas, je n'arrive pas à faire autrement.

Les couleurs d'Élixir sont faites par ordinateur. A partir de quel album ce type de colorisation a-t-il commencé?

Sur Reflet d'Écume, c'était des couleurs directes, sans bleu, sans film.
La couleur de Blood Line a été faite par ordi, et c'est très laid par ce que la BD a été conçue pour rester en noir et blanc. Même de très belles couleurs n'auraient pas convenu. Les premières planches, ce sont des aplats en noir, comme le font Miller ou Mignola.
Pour Paradis Perdu, Liz utilisait des couleurs traditionelles, retouchées à l'ordinateur.
Pour Élixir, les couleurs sont faites directement à l'ordinateur. Le début a été un peu laborieux pour la coloriste, comme pour moi et Christophe, car c'est un premier album. Elle bosse beaucoup avec des gens de chez Disney, dont Barbucci et Canepa, dont elle a été l'assistante, et qui ont continué à la former. Je pense qu'elle a un fort potentiel. Même si l'album n'est pas parfait, on a une bonne coloriste.
Le deuxième tome part beaucoup mieux, à tous les niveaux : dessin, couleur, scénario... Je pense que ce sera un très bel album.

Modifies-tu ton trait en fonction de la couleur?

Pour Élixir, on vise un public large, et donc des couleurs vives. Je voulais que les couleurs aient un rôle important. Je ne voulais pas mettre beaucoup de noir, contrairement à la Geste par exemple. Dans le premier tome, je me suis rendu compte que le final était un peu clair. Je remets donc un peu plus de noir dans le deuxième. L'important est de doser. Je veux que la couleur ait un vrai rôle à jouer. J'en ai assez de faire des dessins très noirs auxquels la couleur n'apporte rien, voire dessert le dessin, et réciproquement. Beaucoup de gens n'aiment pas mes albums en couleur, car ils se demandent ce que la couleur apporte.
La couleur a un rôle dans Élixirs. En noir et blanc, la Geste se tient. Élixirs, pas forcément.

Quel est ton plus grand défi en tant que dessinateur?

Faire un album par an, être plus régulier, plaire aux gamins.
On imagine toujours des projets ambitieux, mais voir un gamin lire son album, et l'aimer, c'est un beau défi.
En dehors de la BD, je fais des illustrations. J'aimerais avoir aussi le temps de faire plus de peinture. Je ne suis pas un peintre frustré, mais je n'ai pas assez de temps.
Avoir le temps de prendre du recul, ce serait un défi.
Pour moi, le plus gros défi a été de faire un premier album. Bloodline était aussi un défi car il fallait tenir sur la longueur (136 pages). A chaque fois que j'attaque un album, c'est un défi, car je ne suis pas sûr d'y arriver. Je ne pense pas être quelqu'un de doué, mais je bosse. Je suis assez angoissé quand je dessine. Par contre, je suis détendu quand j'encre.
J'aimerais être ultra-doué, mais si c'était le cas, je pense que je serais un branleur (sourire). Il vaut mieux avoir un peu de mal et travailler.

Ta plus grande joie?

Après quatre mois d'éssai, quand Léturgie m'a annoncé que c'était bon, que l'éditeur était d'accord, et que j'allais dessiner une centaine de gags sur Rantanplan...
Quand j'arrive à être content de mes dessins. Là, je me sens comme une pile électrique à l'intérieur.

Est ce qu'il y a des genres que tu aimerais explorer?

J'aime bien tous les genres. J'aimerais scénariser de l'intimiste, mais pas le dessiner. J'aurais peur de m'ennuyer. Même si le scénario est excellent, moi, j'ai envie que ça bouge.
Si je devais scénariser, j'aimerais faire une histoire où il ne se passe rien, reposant sur les atmosphères.
J'aimerais aussi traiter des amours romanesques, en un album – un pavé. Il y a eu un projet d'album de « La Belle et la Bête » mais dans un contexte historique, avec la guerre contre les Turcs. Il y a eu aussi un projet sur Dracula, vraiment ambitieux. J'ai déjà fais quelques illustrations, mais pour l'instant c'est de côté. Ça se fera avec Ange.
J'aimerais bien aussi faire des one shots. Et pourquoi pas me scénariser moi même? Ce seraient des récits courts, par ce que même si je travaille depuis dix ans avec des scénaristes, scénariser est un métier.
J'aime bien le fantastique, évidemment... Le polar, ne en sais pas si j'aurais envie d'en refaire.
En fait, je m'emballe beaucoup, mais je me fatigue assez vite. Tous les genres m'emballent. il y en a pour lesquels je veux bien bosser dix ans, et d'autres pour lesquels un an est suffisant.

Quel regard portes-tu sur la production de BD actuelle?

Quand on me demande si je lis de la BD, je répond que non, parce que ça me rappelle trop le boulot. D'autre part, je suis resté à des valeurs sûres, ce que j'appelle les « putains de bons dessinateurs ». Je ne peux pas les énumérer, mais il y a les écoles espagnoles et argentines, Brecchia et d'autres. Il y a aussi Will Eisner, par exemple, aux États Unis. Chez les jeunes dessinateurs, il n'y en a pas beaucoup qui m'emballent. Il y en a plein qui font du bon boulot, mais globalement, je trouve qu'il y a un manque d'exigence, ils donnent dans la facilité.
Je pense qu'on publie trop d'albums. A une époque, pour faire un album, il fallait le mériter. Il y avait beaucoup de pré-publication, on faisait ses premières armes dans les périodiques. Quand le style arrivait à maturité, on faisait un album, une série. C'était une récompense. Le mec avait déjà passé dix ou vingt ans à dessiner. Maintenant, j'ai l'impression qu'on apprend à dessiner en publiant un premier album.Forcément, ça ne peut pas être bon. J'espère que ceux dont les albums ne sont pas bons le savent, et qu'ils ont l'honneteté de dire : « bon, c'est vrai, je vais progresser » et non « C'est bon, je suis le meilleur! ». Ce n'est pas le bon esprit, celui qui permet d'évoluer.
Quand je pense à Franquin, qui, à70 ans, passait un temps fou pour un museau de vache... Je ne sais pas si de jeunes auteurs se posent la question...
Il est vrai que les dessinateurs de l'époque n'avaient pas vraiment de formation artistique. Ils arrivaient, ils dessinaient sur le tas... C'était forcément mauvais. Le premier Tintin, par exemple, n'est pas bien du tout. Hergé a appris par la suite.
A l'heure actuelle, il y a de jeunes auteurs qui ont un vrai bagage (arts déco, pub), mais ce n'est pas le cas pour tous; ce qui n'empêche pas les éditeurs de publier leurs premiers albums. Quand je vois le mal que j'ai eu pour faire mon premier album, j'ai du mal à comprendre.
Il y aura obligatoirement un revers. Quand on se rendra compte qu'il y a trop de mauvais albums, on ralentira la production, et on refusera peut-être des auteurs qui auraient mérité de voir leur premier album édité.
Il y a aussi des dessins qui semblent moyens mais qui vont parfaitement avec le scénario. Dans certains cas le dessinateur est très bon, et il minimalise son dessin, dans d'autres, il montre une facette qui a l'air douée, mais quand on regarde dans le détail on se rend compte que ce n'est pas bon du tout. Certains cherchent à masquer leurs défauts, mais quand on s'y connait un peu on les voit quand même. Par exemple, un premier plan bien placé cachera une main difficile à dessiner. Ce n'est pas du bon travail.

Est-ce qu'il y a des scénaristes avec lesquels tu aimerais travailler?

Il y en a qui m'ont dit vouloir travailler avec moi.
J'ai travaillé dix ans avec Ange, et ça a été une expérience formidable, nous avons visité plein de domaines. Je prend aussi beaucoup de plaisir à travailler avec Christophe. Ce qu'il fait est carré.
Il y en a plein avec qui j'aimerais bosser, mais je privilégierais une relation humaine, je ne choisirais pas forcément les plus grands scénaristes, ou ceux qui font les meilleures ventes.
Mais pour ça, il faudrait que je bosse plus vite, pour pouvoir mener davantage de projets.

Le plus important est le côté humain ou le scénario apporté?

Les deux.Tu peux avoir un copain scénariste dont tu n'aimes pas les histoires, mais ce sera toujours ton ami. Si il y a les deux, c'est super.
De toutes façons, pour avoir l'idée de travailler avec quelqu'un, il faut qu'il se passe quelque chose à la base.

Quels conseils donnerais-tu à un jeune dessinateur?

Il faut qu'il soit bien sûr que c'est le métier qu'il veut faire (sourire). Il faut aimer viscéralement la BD. Le travail demande beaucoup d'efforts, et puis on peut être seul pour travailler pendant deux ou trois ans... On travaille un peu en autiste... En tous cas c'est mon cas. C'est un métier passionnant, mais il faut renoncer à plein de choses.
A la base, il faut avoir une envie incroyable de dessiner ou de raconter des histoires, tout le temps. Et puis, il faut oublier l'idée de devenir riche rapidement, car ça n'arrive que très rarement.

On t'a déjà proposé de faire des affiches de films?

Non, je n'en ai fait qu'une seule, pour le lancement du film « La Momie II, le retour ». Je réalise des couvertures de romans, mais pas des affiches de films. C'est un domaine particulier. EN plus, ils utilisent davantage de compositions photographiques que d'illustrations.
Par contre, j'aimerais bien réaliser un story board. Ce que j'aime dans la BD, c'est la mise en scène. Quand je lis un scénario, je vois les scènes défiler comme au travers d'une caméra, les plans qui s'enchaînent.
J'ai eu une fois l'occasion de faire un story board pour un petit court métrage. Ça a été une expérience très enrichissante.

Lis-tu les romans dont tu illustres la couverture?

Non, on me livre le roman et on m'explique l'histoire. Le romancier et l'éditeur ont en général une bonne idée de ce qu'ils veulent voir apparaître.
C'est très plaisant.

Que penses-tu de la réputation que te donnes Dav à travers les aventures du Studio Gottferdom?

Au début, je trouvais ça salaud, et puis maintenant, je suis fier d'être dans ses pages car Dav est un type qui mérite d'être connu.
Il y un peu d'exagération dans ce qu'il dessine. Tout n'est pas faux, mais un peu éxagéré... (sourire)

Merci beaucoup, Alberto!!