Didier Crisse

crisse and co

Crisse sur Wikipedia
Le blog de Crisse

interview réalisée en 2005

Bibliographie :

- Les Ailes du Phaéton
- Atalante
- Axiomes
- Cañari
- Les Compagnons de la Taïga
- Cosmos Milady
- L'Epée de cristal
- Erotic fantasy
- Griffin Dark
- Ishanti - Danseuse sacrée
- Kookaburra
- Kookaburra K
- Kookaburra Universe
- Lorette et Harpye
- Luuna
- Nahomi
- Ocean's Kings
- L'Ombre des damnés
- Les Ombres du passé
- Perdita Queen
- Petit d'homme
- Private Ghost

Quel métier désirais-tu faire, quand tu étais enfant?

Joueur de foot. Je voulais etre footballeur, mais je n'étais pas assez méchant (rires).

Qu'est ce qui t'a conduit à faire de la bande dessinée?

Etant jeune, à part jouer au football, j'aimais rever à des histoires. En Belgique, le seul medium relativement accessible, c'est la bande dessinée, sinon, tout se passe en France. Le cinéma, c'est pratiquement inabordable pour ceux qui ne sont pas dans le milieu, et puis, en Belgique, le cinéma, ça n'existe meme pas.
Par conséquent, meme si je voulais faire de la littérature ou quelque chose dans le genre, j'aurais du quitter la Belgique ce dont je n'en avais pas envie, à l'époque. Alors, comme j'avais un petit don pour dessiner mes histoires, je me suis automatiquement tourné vers la bd.
D'ailleurs, à chaque fois que j'avais de bonnes notes à l'école, un de mes oncles me ramenait des Johan et Pirlouit, des Boule et Bill, des Astérix..... Depuis très jeune, je baignais la-dedans.
Je n'arrivais pas trop mal à reproduire le dessin des autres : j'arrivais à faire les schtroumpfs, Lucky Luke et Asterix, de tete (rires). J'en étais très content. Ça amusait les copains et de fil en aiguille, j'en ai été ammené à en faire mon métier.

Dans les BD de ton enfance, quelles sont celles que tu préférais?

Eh bien... A part celles que j'ai cité précedemment, j'aimais beaucoup Alix, Tanguy et Laverdure, Olivier Rameau.... Toutes les bd classiques belges, franco-belges...
J'ai mis beaucoup de temps à admettre la nouvelle bd, amenée par Hugo Pratt, Moebius et consort. Elle me passait à des km au dessus de la tete. Pour moi, la bd, c'était Boule et Bill. Il a fallut qu'un copain me dise : « Mais si, regarde, c'est bien, c'est intelligent! » pour que je m'y mette (rires).

Quelles sont tes principales influences?

Mes « grand frères », mes trois papas spirituels, ce sont Uderzo, Disney et Dany. J'ai essayé de m'en écarter un moment, mais ça revient de plus en plus fort. Maintenant, je n'en ai plus honte (rires).
Par la suite, j'ai eu d'autres chocs visuels avec des desinateurs americains comme Frazetta, Bernie Wrightson...

Tu t'es effectivement beaucoup influencé de Dany pour faire Ocean's king, ta première publication dans Spirou. Comment t'es venue l'idée de faire une série sur les dauphins?


C'est en me promenant dans un parc de loisirs pour enfants, Walibi. Il y avait un petit bassin pour les dauphins, et plutot que de me faire rever, ça m'a rendu triste pour ces animaux. C'était une période où je ne supportais pas de voir des animaux en cage. Je trouvais ça plus malheureux que joli.

Tu étais scénariste et dessinateur, ce n'était pas trop dur?

Non. À la base, je voulais vraiment raconter des histoires. J'avais un tout petit talent de dessinateur – je suis totalement autodidacte - mais ce qui me motivait, c'était d'imaginer des histoires. J'étais meme prêt à le faire pour les autres, mais en belgique, on cloisonnait très fort les métiers de dessinateur et scénariste. On pouvait etre dessinanteur et scenariste pour soi, mais dessinateur et scenariste pour soi, et en plus scenariste pour les autres, c'était très compliqué.
Un dessinateur accepte très difficilement qu'un scenariste-dessinateur lui écrive des histoires. D'un scenariste, ça lui semble logique, mais d'un autre dessinateur...
De plus, un dessinateur pensera que ce n'est pas la meilleure histoire que je lui amène, car la meilleure, je l'aurais gardée pour moi (rires). Alors que c'est faux!

Tu as dessiné Ocean's King pour Spirou, puis tu es allé chez Tintin, comment ça s'est passé?

Je faisais mon service militaire, et je dessinais le soir, chez moi ou à la caserne. À la fin de mon service Le Lombard m'a simplement proposé un petit peu plus de sous à la page que Dupuis.
J'ai fais un conte de Noël : Nahomi. Pour moi, ça s'arrettait à ces 8 pages mais on m'a dit « Non, non, c'est un bon sujet, il faut faire d'autres histoires ».
Pourtant je n'étais pas du tout prêt à faire dans le japonais! Moi je voulais faire de l'heroic fantasy, mais à l'époque on ne pouvait pas (rires). En plus, Le Lombard avait déjà Aria dans ce créneau, j'ai donc continué Nahomi.

Justement, pour Nahomi quelles ont été tes sources d'inspiration?

Étrangement, c'était le seigneur des anneaux, dont j'avais vu le dessin animé à l'époque. Il y avait aussi le film Connan le Barbare, qui venait de sortir. Ça n'avait rien à voir avec l'histoire d'une petite princesse japonaise, mais c'était ce que je voulais faire!
Je n'ai eu de cesse de ramener ce monde là dans celui des samourai japonais. C'était nul, parce que que c'était un sujet en or à l'époque. J'aurais fais Mulan avant Disney, mais j'étais trop jeune, pas assez cultivé pour penser à celà. J'étais dans le plaisir immédiat : faire de l'heroic fantasy. Comme on me demandait du japonais, je faisais de l'heroic fantasy mélangée à du japonais (rires).

Nahomi, au départ, c'etait des histoires assez courtes, qui se sont progressivement allongées. Tu t'es attaché à tes personnages?

En fait, c'était une volonté du Lombard, car le journal Tintin avait du mal à fonctionner à l'époque. Ils voulaient des histoires complètes, longues de 15 pages. On devait s'arranger pour que trois histoires mises bout à bout fassent un album d'environ quarante cinq pages. Il devait y avoir une sorte de chute « à suivre » à chacun des récits, pour la mise en album. Ça devenait n'importe quoi. C'était des histoires courtes gonflées en albums (rires).

Comment faisais-tu ton scenario ? En te disant « je verrais bien ce qui se passera après » ou en planifiant par avance ?
 
C'était à une époque où j'étais très frustré. La rédaction trouvait que j'avais de bonnes idées, mais que je les exploitais mal. Donc il m'ont dit « Il te faut un scénariste. »
Moi qui dessinais pour raconter des histoires, on m'imposait un « raconteur d'histoires »!
Pourtant, je ne me sentais pas spécialement dessinateur. J'ai commencé à travailler avec Bom, qui m'a aidé. On est devenus très copains, on discutait beaucoup. Le seul problème, c'est qu'il faisait vraiment trop « jeune public ». Moi je visais plus grandiose!
Malheureusement, je me suis sentis très à l'étroit dans Nahomi. Je le regrette, car encore maintenant, il y a beaucoup de gens qui viennent me parler de cette série.
Tu aimerais reprendre Nahomi si on te le proposait?
Non, j'ai effectivement envie de faire des histoires pour enfants, mais autre chose : j'ai un peu évolué. Faire une petite princesse japonaise, pourquoi pas, mais plus intelligemment, en respectant vraiment les règles du genre. Surtout, en ne mélangeant pas des trucs qui sont inmélangeables.

Quels enseignements as-tu tirés de tes deux premières séries?

J'en ai tiré beaucoup, mais surtout sur la mentalité belge, et le travail de la BD. Ce sont des gens qui ne se prennent vraiment pas au sérieux et qui font leur métier sérieusement. J'ai appris l'humilité et à bien faire mon travail.
Il me semble que les dessinateurs français sont beaucoup à l'écoute d'eux-meme, et non du public.
L'humilité...
Par la suite, tu as commencé l'Épée de Cristal. Comment en es-tu venu à travailler avec Goupil?
Vent d'ouest avait racheté les « Ombres du Passé ». Dans mes cartons, il y avait une héroine, habillée comme Zoria, qui s'appelait Zebra. Goupil m'a demandé ce que je voulais en faire. Je lui ai dit :
« De toutes façons, l'héroic fantasy, c'est pas compliqué, tu prends une nana, tu balances un dragon, un machin qu'elle doit combatre. Elle a une épée, elle combat, et puis c'est fini (rires). L'héroic fantasy, d'un point de vue graphique, j'adore – c'est un vecteur fort pour faire de beaux dessins – mais raconter des histoires la-dessus je trouve ça ininteressant. Il y a très peu de scénarii. Les seuls qui sachent plus ou moins se débrouiller, c'est Loisel et Le Tendre avec la Quete de l'Oiseau du temps. Il y a là un vrai travail de scénario. Sinon, l'héroic fantasy, c'est une succession de beaux dessins, ou un univers cohérent, point.

Tu n'as pas eu envie de faire ton Seigneur des Anneaux?

Dès qu'on veux faire quelque chose comme le seigneur des Anneaux, c'est très compliqué, parce que Tolkien a ratissé tellement large qu'il a tout pris : les légendes celtes, slaves, nordiques... dont il a fait un ensemble. On ne peut pas passer derrière lui, il n'y a plus de place.
Même si on ne fait pas des nains, et qu'on opte pour un personnage petit, c'est un hobbit. Alors on se dit « Non va faire plutot des elfes... », mais il y en a déjà dans le Seigneur des Anneaux.
Sinon, j'ai fais une tentative avec les Princes d'Ambres de Zelazny, mais c'était trop complexe. Il fallait appeler son agent français, qui appellait son agent américain, pour qu'il demande à Zelazny si ça l'interressait... Il vaut mieux travailler avec un auteur français, mais les auteurs français qui font de la bonne héroic fantasy... Je n'en connais pas (rires).
Il y a quelques écrivains comme Anne Mc Caffrey, qui ont fait des histoires tellement fortes... Et puis, je ne peux pas balancer, mais il y a aussi des séries d'Heroic fantasy qui marchent très bien et qui ne sont que des plagiats (rires).

Pour en revenir à l'épée de cristal, la fin du scénario était-elle prévue depuis le début?
 
Plus ou moins. On avait une vague idée, puis au fur et à mesure de l'évolution de l'histoire, on s'est rendu compte qu'il n'y avait que cette fin là qui puisse terminer le cycle.
En meme temps, quand il n'y a pas de scénario, autant avoir une bonne fin (rires), ça sauve la mise.

Sa reprise en 2004 a fait couler beaucoup d'encre. Comment vous est venue l'idée de reprendre cette héroine?

C'était une volonté de l'éditeur Soleil, qui voulait avoir l'épée de cristal à son catalogue. Comme Vent d'Ouest ne voulait pas vendre, et que moi je ne voulais plus travailler pour eux, le seul moyen de poursuivre la série, c'était de la continuer chez Soleil. C'était difficile de mettre tout le monde d'accord. Moi, comme j'avais Atalante qui remplaçait Zoria, je n'avais plus spécialement besoin de refaire l'épée de Cristal; par contre, Goupil, ça l'interressait bien de relancer l'histoire avec un nouveau cycle.
Bizzarement, on a eu du mal à trouver quelqu'un pour reprendre le pinceau. Plusieurs personnes ont été proposées à Goupil, qui les a toutes refusées, pour imposr Chritian Bom, quelqu'un de gentil au demeurant. Moi, je me suis fortement désengagé, à part le story board des dix première planches – j'en ai dessiné six integralement. Je n'ai plus rien à voir là dedans.

Et quel regard portes-tu sur cette suite?

Joker (rires).

Après l'épée de cristal, tu as quitté l'héroic fantasy et tu as repris la casquette de scénariste pour Perdita Queen. Quelles sont tes influences pour cette série?

« Les Yeux de Laura Mars » et « Warlock »... mais ma plus grosse influence, c'est un croquis de Perdita Queen qui m'a fait rever pendant des mois. Ça, c'est ce que j'aime faire, du thriller fantastique. Écrire un policier fantastique, c'est vraiment de l'horlogerie fine. Il y a une vraie histoire, il faut tenir compte des 46 pages, de plein de paramètres... Il n'y a pas tout à coup un coup de baguette magique qui fait apparaître un élement pour s'en sortir, pour relancer le suspens. Il faut se creuser la tete pour que tout se tienne. J'étais très fier du scénario de Perdita Queen.

Un polar, mais toujours avec une touche de fantastique?

Oui, parce que quelque part, il faut un peu de fantastique pour faire rever. Le polar pur et dur, j'aime bien aussi, mais il manque parfois la touche poétique. Il faut etre un très grand metteur en scène ou écrivain pour faire un bon polar. Une belle histoire policière tout en finesse, je n'en ai pas encore trouvé l'idée.
Justement, le fantastique permet de basculer dans un univers, un petit peu... fantastique. (rires)

Est ce que tu aimerais reprendre cette série?

Oui, définitivement. Ce serait un très grand plaisir.
Comme je ne voulais plus travailler pour Vent d'Ouest – j'ai eu un problème d'argent avec eux à la fin de Perdita Queen – la série a longtemps été bloquée . En plus, il ont fait une sorte de suite, ou série parallèle – Griffin Dark – qu'ils ont massacrée. Il y a des choses qui ne se font pas : ils ont obligé un dessinateur à faire l'album en six mois, alors qu'il travaillait déjà à temps plein à coté. Il ne pouvait dessiner que le soir. Ensuite, ils ont mis six mois pour le mettre en couleurs, il aurait donc eu un an pour le faire.
Et puis cette couverture noire sans dessin, en ne mettant qu'un bandeau avec mon nom... C'était nul.
Maintenant que Soleil a racheté les droits, l'ouverture est possible, il ne me manque que le temps. J'ai développé tellement de projets à coté depuis... Il faut finir tout ça avant de passer à autre chose.
En même temps, comme l'héroine est plus ou moins morte dans le dernier album... La reprendre dix ou quinze ans plus tard, ce serait dommage. Autant créer une autre héroine, sa petite soeur, ou sa grande soeur par exemple.

Comment en es-tu arrivé au projet Kookaburra?
 
Sachant que j'avais des soucis avec Vent d'Ouest, Mourad Boudjellal m'a appellé. Il m'a tendu la main: « Viens chez nous, et tu feras ce que tu veux. »
J'ai accepté. J'ai regardé un peu ce qui se faisait chez Soleil, et puis j'ai vu Lanfeust, qui en était au tome deux ou trois, qui commençait à frémir et qui sentait bon le succès. Je ne voulais pas ammener un projet concurrent chez le meme éditeur, pour qu'il ne sache pas lequel pousser, alors, je suis arrivé avec une histoire de Science fiction. Je l'avais vaguement préparé pour Vatine, pour la collection série B chez Delcourt. C'est parti comme ça.

Justement quelle impression as-tu eu en collaborant avec Vatine?

Beaucoup de respect (rires), parce que si les papas spirituels de mes débuts c'était ceux que j'ai nommés plus haut, j'ai maintenant deux cibles, c'est Olivier Vatine, et Claire Wendling. Bon, Olivier, je commence un peu à rentrer en concurrence avec lui, je le rattrape un peu, mais Claire, elle est extraordinaire. A chaque fois que je vois un album, meme si il n'y a qu'un seul dessin d'elle, j'achète. Je suis un fan absolu de Claire Wendling. Et... c'était quoi déjà la question?

Comment as-tu rencontré Olivier Vatine?

C'était à Angoulème, il est venu me voir et il m'a dit : « J'aime bien ce que tu fais. On développpe un concept chez Delcourt, et on aimerait bien que tu en fasse partie. » J'étais vraiement étonné qu'il puisse s'interresser à moi. Je n'ai pas un regard spécialement auto-suffisant : je regarde mes dessins en me disant « Ça me sert à raconter mes histoires ».
Je ne sais pas où me situer au niveau dessin. Alors que quelqu'un comme Vatine s'interresse à moi, j'ai trouvé ça fabuleux.

Pourquoi as-tu arreté de dessiner la série Kookaburra?
 
Quand j'ai commencé Kookaburra, j'étais persuadé que c'était ma série, que je finirais ma vie avec, mais ça a démarré moyen – quand je dis moyen c'est 20 000 exemplaires. Vu que je venais de l'épée de cristal où on était à presque à 100 000, Mourad était un peu déçu. Il pensais que je n'étais pas venu avec les meilleures billes. Il me disait : « Tu ne ferais pas un petit héroic fantasy?
- Rhaaa Mourad ! C'est nul, l'héroic fantasy, ça m'ennuie, l'héroic fantasy »
Mais il insistait, insistait, et j'ai commencé rechercher un sujet.
J'ai commencé à préparer un projet qui se passait à l'age de bronze. Entre temps, Kooka démarrait un petit peu mieux, on arrivait à des chiffres interressants, 30 000 exemplaires... On sentait bien que les gens avaient adhéré, que ça ne demandait qu'à exploser.
D'un autre coté j'arrivais avec un projet qui tentait vraiment Mourad, alors on l'a joué à la pièce, à Angoulème (rires). C'est dans un restaurant, je lui ai donné une pièce de cinq francs, et la pièce est tombée à cheval sur deux tables. Tarquin a pris les deux tables, il a dit : « On est chez Soleil, on peut tricher! » et il les a ouvertes. La pièce est retombée sur Atalante. Mourad a dit : « Alors, ça c'est le destin. »

Tu as gardé la pièce?

C'est Mourad qui l'a gardée. Et puis Atalante a eu un succès immédiat. Elle s'est vendue deux fois plus que Kookaburra. J'ai mis un an à essayer de me convaincre que je pourrais faire les deux en meme temps, mais... Entre temps, j'avais envie de raconter plus d'histoires. Vers 40 ans, je me suis dis : « Bon, si tout vas bien, je ferai encore vingt album, à raison d'un par an... En étant vieux, j'irai surement moins vite. Mais je n'ai plus que 20 histoires à raconter. »
Ça m'a tellement fait flipper de me rendre compte qu'il ne me restait plus que 20 histoires à faire... Je me suis mis à écrire pour beaucoup de gens en meme temps. Je n'avais plus le temps de dessiner deux séries. Le temps que je m'en rende compte, que je l'accepte, j'avais passé le flambeau de Kookaburra à Nicolas Mitric, qui s'en sort très bien.

Toujours chez Soleil, comment s'est passé ton travail sur Marlysa?

Je devais faire un scénario pour Jean Pierre Danard, mais j'avais trop de travail... J'avais un copain qui s'appellait Jean-Charles Gaudin. Il travaillait pour le cinema et il voulait tater de la bd. Je les ai mis en relation et puis voilà. Vu que c'était le premier scénario de Jean Charles pour la bd, et que ça ne s'écrit pas exactement comme un film, j'ai plus ou moins servi de lien. J'ai fais tampon entre eux deux, pour que la sauce prenne et que Jean pierre soit en confiance avec ce scenariste qui sortait de nulle part, dont c'était le premier scenario en bd. J'ai fais les couleurs des deuxièmes couvertures par plaisir.

Maintenant que tu scénarises beaucoup de séries, est ce qu'il y en a une que tu aurais quand meme voulu dessiner?
 
Pour moi, le plaisir, c'est de faire un livre et de raconter une histoire. Que ce soit moi qui la dessine ou quelqu'un d'autre, à la limite, je m'en moque. Il n'y en qu'une pour laquelle j'avais hésité longuement, c'est Luuna. J'étais tenté de faire une indienne, mais j'avais choisi Atalante, donc, quand Mourad m'a présenté Nicolas Kéramidas, je lui ai dis : « Voilà, tu peux faire ce que j'avais préparé pour moi, si ça t'interresse. »
Il m'a répondu : « Il y a des chevaux à dessiner?
- Ben, non il n'y a pas de chevaux à dessiner...
- Alors je le fais. » (rires)
Maintenant, mon parcours devient différent. D'un coté, je suis content, je suis plus concepteur d'univers que dessinateur. Et puis quand j'écris des histoires, je fais déjà les premiers croquis. Du coup, je dessine de moins en moins pour moi.
Par exemple, il y a un projet magnifique qui va sortir, dessiné par Carlos Meglia, qui s'appelle Canari. Ça se passe avec les mayas... Mourad m'a demandé : « Est ce que ça vaut encore la peine de passer une semaine à 15 jours pour dessiner une planche? Si tu arrives à écrire et que ça marche aussi bien que tes séries, ça ne vaut peut etre meme plus le coup de dessiner. Les gars s'en sortent bien et toi, tu est content de raconter les histoires qui te plaisent, de batir des univers. »
On en revient à Perdita Queen. Effectivement, je pourrais prendre un sujet, faire un one-shot, et m'occuper ensuite des multiples univers que j'aurais crées avec d'autres dessinateurs.

As-tu envie d'achever une série?

En effet...
L'épée de Cristal, tout le monde trouve la fin chouette, mais est resté sur sa faim et attend un autre cycle. Kookaburra, tout le monde rale que je ne sois pas allé jusqu'au bout... Ça fait deux. Perdita Queen, trois. Pour Petit d'homme, j'ai été laché par N'guessan – en toute amitié, mais ça fait quatre séries inachevées, c'est à dire beaucoup. Je dois dire un grand merci à Nicolas Mitric qui va terminer l'histoire de Kookaburra par amitié.
Avec Atalante, j'ai commencé le tome 4 et je vais l'amener jusqu'au tome cinq. Ensuite on verra.
D'un autre coté, je me suis un peu habitué aux gros tirages en solo. Partager avec Fred, c'est tout à fait normal, mais ça ne fera qu'un demi album d'Atalante, et donc financièrement...
En même temps, ce type d'univers me convient bien, donc, je vais y aller peut etre plus lentement mais je vais continuer... Je vais essayer d'aller jusqu'au bout. Faire une bd, ça prend tellement de temps... C'est pour cela qu'une des solutions c'est de raconter des histoires avec d'autres dessinateurs. Comme ça je suis moins tenté d'arêter au milieu.
Je vais essayer de développer les projets Atalante, Ishanti, Luuna et Canari en priorité. Ils sont à peu près tous sur le meme sujet, c'est à dire la mythologie, grecque, egyptienne, précolombienne, amérindienne... C'est un sujet auquel je tiens : les autochtones entre eux. L'homme blanc n'arrive pas pour foutre le souk dans leur civilisation.

Quelles sont tes recherches documentaires?

Dictionnaire mythologique et beaucoup de bouquins. Je lis beaucoup, je regarde beaucoup de photos... pour m'en écarter. Il y a une base historique très forte, dont je tiens compte ou pas, selon ce que je sais faire ou pas.

À propos d'Ishanti, comment t'es venue l'idée de ce personnage?

Un jour, alors que Fred faisait les couleurs de private ghost, il m'a envoyé un mail : « Tiens, je me suis amusé avec Chiron, l'un des personnages d'Atalante. »
Comme il a une trentaine d'année, que c'est un fan de tout ce qui est informatique, je me suis dit : « il a du lui mettre une moustache, une pipe, des lunettes... »
Quand le dessin s'est ouvert, j'ai été surpris par sa qualité. J'ai tout de suite appelé Fred pour lui demander combien de temps il avait mis pour le faire. Si il avait mis trois ans, j'aurais dis : « Ah, très beau dessin », mais il m'a dit : « Oh, celui là, il a pris vachement de temps, j'ai bien mis dix heures. »
Je lui ai répondu : « Mais tu te rends compte, dix heures, c'est une journée de travail (pour un dessinateur)... A la fin de la semaine, tu as six cases, ça fait une page. Tu peux faire de la bd! Tu peux cartonner! »
Il a repris : « Oui, mais ça fait des années que tu me dis que mes dessins ne tiennent pas la route! »
C'est vrai que quand il dessine tout seul, c'est... (grimace) pas pareil.
« Oui, mais bon, on te trouvera une histoire, je serai à coté de toi....
- Ben oui mais ça tu me l'as déjà fait.... »
C'est vrai que j'avais suivi deux ou trois de ses dossiers.
« Bon, ben je t'écrirai des scénarios...
- Oui, mais ça sera toujours mes dessins....
- Effectivement.... bon je te ferai les dessins....
- D'accord! » (rires)
C'est parti comme ça. On a cherché un sujet qui mettrait en évidence ses qualités, qui contournerait les grosses difficultés. La première idée qu'on ai eu c'était de faire la jeunesse d'Atalante, mais il a dit : « Ooh... Dessiner des forets, feuille par feuille.... en informatique je vais devenir fou. »
Alors on a pensé à une histoire avec des pirates :
« Ah, je veux pas faire d'eau. »
Le coté égyptien s'est imposé de lui meme : quand il a fait la mise en couleurs pour le tome trois d'Atalante, je lui ai dis: « Tiens, là tu vois, il n'y a pas de végétation, c'est des dunes... Mais il y a beaucoup de doré...
- Ça c'est pas grave, j'aime bien faire ».

Travailles-tu différemment en sachant que ta planche va etre colorisée par ordinateur?
 
Oui, bien sur. Il n'y a plus d'encrage, je ne fais plus que du dessin au crayon, assez poussé d'ailleurs. Avec Ishanti, Canari, Luuna, la mise en couleur par ordinateur sur Atalante, je commence à avoir un univers très cartoon, très dessin animé.
Quelles sont tes impressions sur les deux méthodes de colorisation que tu as utilisées?
Les deux ont leurs qualités et leurs défauts. Ce qui est dommage en informatique, c'est qu'il n'y a pas d'« accident » : tout est délimité. Quand on fait quelque chose à la main : des fois on loupe et « aie aie aie ! » Et puis on s'apperçoit que « Ah bah, non, finalement, c'est bien! ». Ça n'existe pas en informatique.
Par contre les lumières sont plus fortes. Je crois aussi que les jeunes, qui sont nés dans les jeux vidéos, qui commencent à voir des couleurs informatiques partout en bande dessinée, vont préférer ça...
Les deux ont leurs qualités et leurs défauts.

Tu n'as pas peur qu'avec cette mise en couleur, certains regrettent l'ancienne?

Je ne sais pas trop quoi en penser... Fred fait un travail extraordinaire, je gagne certaines choses et j'en perds d'autres. L'un dans l'autre, je persiste à croire que le principal c'est l'histoire, et ça, ça ne changera pas.

Comment pourrais-tu définir ton style de dessin?

Je ne sais pas... pour moi, je fais du semi-réalisme. Pendant des années, ça m'amusait de voir des petits Loisel partout, des Vatine partout, mais je ne voyais pas de petits Crisse. Quelque part, je ne faisais pas école. D'un coté j'étais content, et de l'autre, je me disais que mon dessin ne plaisait pas, que l'on avait vite fait le tour. Je me suis aperçu petit à petit que c'était le contraire. C'est très compliqué de copier mon style, parce qu'il est fait de « trucs » (rires). Pour que ça passe, j'en pique à gauche, à droite et j'essaye de les alonger à ma sauce. Comme je suis autodidacte, et que j'ai de grosses lacunes en dessin, ça doit etre incompréhensible à copier « Comment arrive-t-il à un tel dessin, alors que graphiquement, ça ne tient pas la route? »
Ce n'est pas du style, c'est de la débrouille, mais les gens aiment.
En réalité, je pense que ma vraie force, c'est de raconter un histoire et d'entraîner les gens dans mon univers, plutot que de les fasciner par des dessins somptueux ou des vertiges graphiques, que je n'ai pas. Il y a un dessin qui me permet de raconter ce dont j'ai envie, et un qui ne me le permet pas. Je triche tellement que ça finit par passer.
J'avais essayé de faire du réalisme avec « les Ombres du passé », qui a été un échec total au point de vue vente, bien que je me sois beaucoup amélioré au point de vue dessin.
Cela m'a appris à me remettre en question, à avoir peur du lendemain et à me rendre compte que je faisais un métier, qu'etre dessinateur, ce n'est pas juste de faire de beaux dessins en rigolant et en buvant le coup avec les potes, et qu'il y a des possibilités d'echec.

As-tu modifié ton style pour la mise en couleur par ordinateur?

Non, c'est le problème de Fred (rires).

Combien de temps travailles-tu sur une planche?

Ça dépend des planches, mais en gros une semaine. Et c'est pareil pour Ishanti.

Comme beaucoup de scénaristes tu as des gimmicks : Personnage central féminin accompagné d'un coéquipier(s) comique, ceux ci te servent–ils à dédramatiser la situation?

Oui. En général, les fonds de mes histoires ne sont pas spécialement droles. Il y a beaucoup de gravité mais c'est raconté de façon tellement légère que ça n'embête pas trop les gens. Ces personnages permettent effectivement d'alléger tout ça. J'utilise des héroïnes parce que je me sens proche de la sensibilité féminine. Les héros qui m'inspirent beaucoup moins... Sauf si ce sont des anti-héros.

D'une manière générale as-tu une structure précise à long terme pour tes scénarii ou improvises-tu au fur et à mesure?

Pour Kookaburra, à raison d'un album par an, admettons que j'en fasse 15... La personne qui aurait commencé à lire la bd à quinze an en aurait trente quand j'aurais fini. Est ce qu'une histoire qui interesse un adolesent de quinze ans pourrait satisfaire un adulte de trente ans?
Ça me semblait risqué de faire une méga saga, tout en restant cohérant. Je me suis rendu compte en le faisant que cinq album, c'est bien, c'est le maximum pour faire une histoire avec un début et une fin. Celà ne pose pas de pb pour une saga comme Largo Winch, qui est de deux albums en deux albums. Quand le gars de quinze ans qui aimait bien Largo Winch en a trente, il s'en moque, il peut arreter quand il veut. Mais à trente ans etre frustré de la fin d'une série qu'on a aimée, c'est terrible.

Tu te mets plus dans la position du lecteur que du dessinateur...

Oui je fais ce métier pour faire rever les gens. Je suis plus ou moins à leur disposition. Je me garde un petit truc à moi, que je mets dans un peu toutes mes histoires, mais tellement camouflé qu'il n'y a que moi, ou quelqu'un qui a la meme sensibilité que moi, qui sait que c'est présent. Je crois que ce sont toutes ces petites ces touches personelles qui font que j'ai public. Meme s'il ne le sait pas, c'est quelque chose qu'il doit remarquer.
Quel bilan fais-tu de ton travail de scénariste?
En tant que scenariste, j'ai envie de tout bazarder de faire ce dont j'ai vraiment envie, mais finalement je me dis : « Non, c'est bien aussi de continuer ce que tu fais, les gens aiment bien. » J'aimerais faire des histoires d'amour romantiques, prises dans des thrillers, mais bon, il faut que je termine ce que j'ai commencé (rires).
En tant que scenariste pour d'autres, j'aimerais continuer plus ou moins ce que je fais, c'est à dire travailler sur des civilations qui m'interressent, en général des civilisations pleines de soleil.
J'ai un petit sujet qui se passerait en polynésie avec des polynésiens, avant que l'homme blanc arrive.
Sinon, personellement, je voudrais faire des histoires d'amour intemporelles, des trucs comme ça.

Toujours un format 46 pages, tu n'as jamais été tenté d'écrire un roman graphique?

Si, justement, mais là il faut convaincre l'éditeur aussi, ce n'est pas évident. Lui, il va me dire à chaque fois : « Oui, mais attend, Atalante, t'es sur d'en vendre 100 000, qu'est ce que tu vas te faire chier à .... » (rires).

Justement, commet ça s'est passé avec « les compagnons de la Taiga »? C'est un format italien. Il y a eu de bonnes répercussions?

Non, ça a été fait d'une façon franco belge, et c'est parce qu'il n'y avait pas assez de pages qu'on a découpé. On ne l'a pas fait pour que ce soit vendu, on l'a fait pour que ça existe, et c'était chouette.

En tant que dessinateur, quel a été ton plus grand défi?

Chaque dessin que je fais est un grand défi par ce que je ne suis jamais sur d'y arriver, surtout les dessins un peu compliqués, où je sais d'entrée de jeu que ça, je ne sais pas le faire. J'utilise des trucs, mais comme je suis très exigeant sur les découpages et la façon de raconter une histoire, je sais très bien qu'à un moment donné, je vais faire une plongée. Je dois la faire alors que c'est exactement ce que je ne sais pas faire. Je m'y oblige, pour raconter une histoire comme je veux, et etre tout à fait honnete avec le lecteur et avec moi meme. « Tu vois, ça tu le demandes à tes dessinateurs, et ben il faut le faire toi meme. » (rires)

Et ta plus grande joie?

En dédicace, quand je vois le plaisir sur le visage des gens.
Beaucoup de gens viennent me voir en disant : « J'ai commencé à aimer la bd avec Nahomi. » Je ne me rendais pas compte à l'époque...
Beaucoup viennent aussi me rendre visite pour l'épée de cristal : il y a vraiment un parcours pierre après pierre : ceux qui me suivent depuis le début me sont restés fidèles. Ça me fait vraiment plaisir.

Claire Wendling s'est exportée en Amerique pour faire un film d'animation « Quest for Camelot ». Tu serais tenté par l'animation?

Pas spécialement. Par contre, je serais tenté de travailler avec elle. Je crois que je pourrais lui amener pas mal de trucs, au point de vue scénaristique, par ce qu'au point de vue dessin...
j'ai lancé des appels à chaque fois que j'ai eu une interview (rires) : je demande que ce soit écrit lourdement (rires). On finira bien par se rencontrer un jour.

Et Vatine?

Ah oui, tous les deux, mais je crois qu'Olivier maîtrise déjà son univers tout seul.

Tu ferais une illustration pour une affiche de cinéma?

On en a fait une avec Fred Besson, « Alien vs Predator ». À chaque fois qu'on nous le demande, on essaye de réagir positivement. On n'a pas vraiment de contacts, les agents font tout. C'est au coup par coup.
Recemment, tu as eu aussi une incursion dans les comics avec Tellos, comment s'est-elle passée?
C'est ce que Todd m'avait demandé, c'est ce que je voulais faire. Ça s'est décidé à Angoulème. Semic avait demandé à des dessinateurs de faire une couverture française pour des séries américaines. Je suis allé les voir en leur disant « Moi aussi, je veux en faire une... voir plus.
- Pas de pb, on a ça de disponible... »
J'ai dessiné la jeunesse d'un des personnages féminins, Sera.

Étant un fan de vampires, qu'as-tu pensé de la série « Crimson »?

Beaucoup de bien. En plus, je travaille maintenant avec Humberto Ramos. Les liens se tissent un peu partout, ce qui m'arrive pour le moment est assez extraordinaire.
Quel regards portes-tu sur les productions actuelles?
(rires) Il y en a trop! J'ai horreur des manga, je n'arrive pas à les lire. Du coté des comics, il y a des dessinateurs extraordinaires, mais il faut les lire en anglais, car en français c'est très mal traduit. Et puis, ceux qui sont traduits ne sont pas forcément les meilleurs.
Sinon, j'en aime plein !
Il y a « Là ou le regard ne porte pas », qui m'a scotché. Il y a aussi quelque chose que j'ai mis longtemps à prendre en main, c'est « le sursis » par Gibrat, et sa suite. Maintenant je trouve ça fabuleux, autant le dessin que le scenario. Cette extraordinaire BD est sensible et intelligente
« Là ou le regard ne porte pas » et « le Sursis » sont des films de papier. Ça me fait plaisir quand je vois ce travail, parce qu'il correspond à ce que je recherche dans ma tete. Quand j'aurais finis ce que j'ai commencé (rires)....
Comme quoi on peut faire autre chose que de grosses bastons avec des trolls qui font des jeux de mots idiots. (rires)
En plus, il se passe un truc – Soleil est plus ou moins à l'origine de ce phénomène – c'est les passerelles qui sont en train de se mettre en place vers les Etats Unis, vers la Corée, pour faire travailler des dessinateurs américains, coréens, français, avec des scénaristes français. L'expérience, marcherait très mal dans l'autre sens, mais dans ce sens là, ça marche bien. En plus, je suis un de ceux là... Travailler avec Ramos, Meglia... C'est un honneur. En plus les mecs s'éclatent, on sent bien que le format européen les tente vraiment.

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un jeune dessinateur?

Qu'il attende un peu. Il y en a beaucoup en ce moment. S'il y croit, qu'il tente tout, qu'il aille jusqu'au bout. Soit il est fait pour ça et ça passera, soit on lui fera comprendre que non. Il trouvera par lui meme ce qu'il faut pour réussir.

Si tu étais un perso de BD, tu te sentirais le plus proche de quel héros?

Corto Maltese.

Merci pour ta gentillesse.

Je vous en prie.