André Juillard

André Juillard sur Wikipedia

interview réalisée en 2006

Bibliographie :

- Les 7 vies de l'Epervier
- Après la pluie
- Arno
- Barbe-Rouge
- Blake et Mortimer (Editions Blake et Mortimer)
- Bohémond de Saint-Gilles
- Le Cahier bleu
- Les Cathares
- Chasseurs d'or
- Cheminot
- Le Dernier chapitre
- Dessins d'histoire
- Les missions d'Isabelle Fantouri
- Le Long voyage de Léna
- Masquerouge
- Plume aux vents
- Triangle secret

Quels souvenirs de Bande dessinée gardez-vous de votre enfance? QU'est ce qui vous a donné envie de devenir dessinateur?

Ce sont deux choses, d’abord mes premiers souvenirs de lecteurs. Je devais avoir 8-10 ans, je lisais le journal Tintin.
Ensuite, il faut se projeter lorsque j’avais une vingtaine d’années. Je vivais chez un oncle dont les filles lisaient « Pilote ». J’ai découvert la BD à travers le « Pilote » des années 70, avec Bluebbery, Valerian, Gotlieb, Druillet.
J’étais aux arts déco et avec Pilote, j’ai pris conscience que la BD était un moyen d’expression qui était fait pour moi.

Vous ne vouliez pas faire de BD auparavant ?

Au départ je ne pensais pas à la BD, je pensais plus à l’illustration.

Au cours de vos études, Mezières a été votre professeur. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

Un très bon souvenir. C’était quelqu’un de très disponible et de très généreux. C’était aussi quelqu’un qui ne laissait rien passer. Ce qui l'obsédait, c'était la lisibilité de la planche.
J’ai beaucoup appris à son contact et j'ai rencontré des gens qui sont resté des amis, comme Loisel, Le Tendre ou Rossi.
Pour rentrer de plein pied dans le milieu de la bande dessinée, Mezière m’a fait connaître Giraud, puis Jijé, car j’avais un dessin plus proche de ce dernier.
Petit à petit, j’ai appris la BD, en suivant les conseils de Mezières et Gillain (ndr :Jijé) et aussi en travaillant, car j’ai eu la chance de tout de suite trouver du travail pour le journal « Formule 1 » et dans les autres magazines des éditions « Fleurus ». J’ai ainsi appris mon métier directement, alors que je n’étais pas forcément au point pour les autres journaux de la bande dessinée comme Tintin ou Pilote.

Vous y avez rencontré Didier Convard ?

Oui, je l’ai rencontré il y a très longtemps, à mes débuts. Nous travaillions tous les deux pour Fleurus. Nous avons sympathisé et on nous a proposé de travailler ensemble pour faire l’inoubliable « Isabelle Fantouri » (sourire). Elle nous a occupés pendant 3 ans. Nous travaillions ensemble sur le dessin et le scénario était fait par quelqu’un d’autre.
L’héroïne devait être constamment présente dans le journal « DJINN », un hebdomadaire pour filles. Ça demandait beaucoup de travail.

En faisant un bond dans le temps, on arrive à l’aventure « Masque rouge » avec Cothias, dans Pif gadget, comment avez-vous été amené à travailler avec lui ?

Les édition Fleurus ne fonctionnaient plus très bien. Comme j’avais déjà fait un travail autour de Jules Vernes pour Pif alors j’y suis retourné.
Il y avait un scénario qui attendait son dessinateur, écrit par Cothias. Au départ, cela s’appelait « Cerf Rouge », avant de devenir « Masque Rouge ». C'est comme ça que j'ai rencontré Patrick, qui travaillait aussi à Fleurus. Il était même dessinateur à l’époque.

Le design de masque rouge s’inspire t-il de quelque chose en particulier ?

Au tout départ c’était une histoire plutôt médiévale, mais la rédaction de Pif surveillait la gestation des séries et voulait plutôt une BD de cape et d’épée. La transformation a été assez simple pour le scénariste et puis le reste ça a été du bricolage.
Pour le masque en lui-même, techniquement, il fallait qu’il ait des coutures. J’ai eu l’idée que ces coutures ait un sens.

Quel type de documentation utilisiez-vous ?

Au départ, j’utilisais un peu tout. Des livres d’histoires pour enfant, pas forcement de cours, des petites encyclopédies. Quand j’allais dans un musée et que je voyais des tableaux représentant cette époque, je faisais des croquis. Petit à petit j’ai trouvé des livres plus pointus sur la question. Pareil pour l’architecture.
Au départ je n’avais pas une grande technique de recherche de documentation. Je n’allais pas au cabinet des dessins pour consulter des plans. Cela m’aurait plu mais on avait pas beaucoup de temps. On devait rendre 10 pages par mois, ce qui représentent un travail assez soutenu. Je serais incapable de le refaire maintenant (sourire).

Comment s’organisait votre travail avec Cothias ? Vous discutiez du scénario ?

On pouvait en discuter mais il y avait toute une série de scénarios qui était déjà préparée, avec les synopsis. On se voyait fréquemment et on aménageait certains scénarios quand on avait de nouvelles idées.

Avec le recul, avez vous, dans la saga des Sept vies de l’Épervier, des personnages que vous préfériez dessiner ?


Je préfère dessiner Ariane avant tout. Ensuite je les aime tous, je n’ai pas de préférence graphique.
A cette époque, j’avais tendance à stéréotyper mes personnages. Je ne leur donnais pas une personnalité très marquée. C'est surtout vrai pour les personnages principaux, que l’on doit dessiner case après case, page après page pendant des années. On a tendance à prendre des types de physique qui nous viennent naturellement sous le crayon. C’est plus qu’une affaire de trait, c’est une affaire de physionomie. On a des préférences pour un type d’anatomie, un type d’architecture.
Quand je revois les personnages, je m’aperçois qu’ils étaient très stéréotypées. Par contre, je m’amusais plus à faire des personnages secondaires, qui n'apparaissaient que dans quelques cases. J’avais moins de pression, il n'y avait pas à les dessiner sous tous les angles.

Ariane étant un de vos personnages préférée, avez vous essayez de la démarquer ?


Non, mais elle a beaucoup changé d’elle même, déjà par rapport à Masque Rouge. Dans les six premiers tomes des 7 Vies de l’Épervier, elle est soit enfant, soit adolescente. Dans le dernier album, elle devient adulte. Entre le 1er Masque Rouge et le dernier tome des Sept Vies de l’Épervier, il s’est passée 10 ans, donc ma façons de dessiner a évolué. Mais pour Ariane, j’étais assez prisonnier d’un certain type, fixé dès le départ. Je ne pouvais pas la transformer en brune avec un nez en bec d’aigle par exemple (sourire).
Cela ne me dérangeait pas, car cela correspondait à ma façons de dessiner les personnages féminins. Louise du « Cahier Bleu » et Ariane se ressemblent beaucoup. J’essaye de changer un peu pour l’héroïne de la nouvelle bande dessinée que je réalise actuellement avec Cristain mais ce n’est pas toujours une franche réussite.

Vos personnages principaux sont souvent des femmes. Pourquoi ?


Au départ, je ne choisis pas, c’est le travail du scénariste. Ensuite je me suis aperçus que je me sentais bien avec un personnage féminin. J’aime bien les dessiner, et puis je pense que j'ai plus de connivence avec une femme qu’avec un homme, finalement.

Verra-t-on Ariane vieillir ?

Je ne sais pas. Actuellement, c’est en stand by. Patrick écrit des romans et je fais pour ma part des choses plus ponctuelles. Peut-être que l’envie nous reprendra... D’ailleurs j’aimerais beaucoup, mais il faudrait qu’on en discute avant. Trouver une raison, une idée intéressante pour poursuivre la série. Mais je n’aurais pas de plaisir à dessiner une Ariane de 75 ans.

Peut être pas autant !

(sourire) Oui, c’est une héroïne de BD. Elle prendra de l’âge parce que le temps passe, mais elle ne changera pas beaucoup.

Etiez vous au courant du scénario de « Plume au Vent » dans son integralité quand vous avez décidé de reprendre le personnage d’Ariane ?


J’ai appelé Cothias car j’éprouvais la nostalgie de cet univers. Pour ce qui est du scénario, j’avais dit à Patrick que je ne me sentais pas capable de repartir pour sept tomes. Je lui ai suggéré un chiffre au hasard, mais moins de 7 (rires). J’ai pensé à un cycle en quatre albums. Il s’y est tenu. Il a eu un peu de mal vers la fin, il aurait aimé continuer un peu, mais j’avais envie de faire autre chose.
Et puis... je m’ennuyais un peu au niveau du dessin dans cette histoire. Je n’ai pas eu exactement ce que j’aurais voulu avoir. J’aurais vu une série davantage documentaire sur le monde des Indiens, expliquer comment les gens vivaient. Ça aurait passionnant. Finalement, je n’ai pas eu beaucoup de grands espaces, de scènes d’action. Il y a eu plus de dialogues à l’intérieur des huttes des indiens ou de la maison de Champlain. Je me sentais vraiment à l’étroit. Au bout du compte, j’avais hâte que ça se termine.
Si on retrouve l’inspiration, on racontera de nouvelles histoires, mais est ce qu’on en aura envie un jour? Pour l’instant je ne peux pas le dire.

Comment est venue l’idée de reprendre les personnages de Blake et Mortimer dans la Machination Voronov ?

Elle est venue à Didier Cristman, qui était à l’époque directeur de collection chez Dargaud. Il s’occupait de la reprise qu’assumait Ted Benoît et Jean Van Hamme. Ted Benoît travaillait assez lentement et Dargaud voulait accélérer la cadence, car ils avaient payé le projet assez cher. Cristman proposa donc de créer une deuxième équipe.

Pourquoi Cristman a-t-il pensé à vous ?

Il savait que j’étais un fan, mais c’est loin d’être suffisant. Il y avait eu, dans les années 80, un hommage à Jacobs – de son vivant – dans le journal Tintin. Cinq dessinateurs avaient été choisis pour faire une page à propos d’une de ses histoires.
À l’époque, j’avais été surpris d’avoir été choisis car mon style n'était pas très proche du sien, mais j’ai réalisé une planche sur le Mystère de la Grande Pyramide, dans mon style.
Par la suite Didier Convard et moi avons fait un album où nous reprenions des personnages existants, mais âgés, toujours dans un style assez réaliste (« Dernier Chapitre », ndlr). A l’occasion de la sortie de ce livre, j’ai fait un ex libris dans le style «  ligne claire » pour un libraire. Je crois que c’est en voyant ce dessin que Cristman a pensé que je pourrais retrouver le style de Jacobs. J’ai fait un essai concluant et je me suis lancé dans l’aventure avec énormément de plaisir.

Vous n’avez pas eu trop d’appréhension, à reprendre ainsi une série mondialement reconnue ?

J’avais de l’appréhension bien sûr. Je n'étais pas certains de tenir la distance, car il y avait beaucoup de pages (60), beaucoup de cases ,beaucoup de texte. Il fallait arriver à maîtriser des personnages qui peuvent paraître facile au prime abord mais qui ne le sont pas. Et surtout ne pas décevoir les lecteurs. Je suis moi même lecteur et je sais que je peux être déçu par une reprise.
J’ai toujours eu le goût de faire des pastiches. Dessiner d’après Franquin, Thillieux, Milton Caniff. Cela m’amuse, j’essaye de coller le plus possible à leur style. C’est un exercice très intéressant. Mon état d’esprit n’était donc pas paralysé d’endosser un style qui n’était pas le mien. En réalité, je trouvais cela très excitant.

La réalisation n'a pas été contraignante?


On me demande souvent si ce n’était pas contraignant, mais c’est un choix personnel. On ne m’a pas forcé. J’ai juste réfléchi, et consulté Ted Benoît, pour voir si ce n’était pas un problème pour lui, avant de donner ma réponse.
J’avais trouvé que Benoît avait fait du très bon travail, et cela me prouvait que ce projet était réalisable. De plus, malgré tout, on retrouvait son style dans les personnages. Je savais que pour ma part, j’allais avoir du mal à me débarrasser de mon style, par exemple pour les personnages secondaires. Mais avec ce qu’avait fait Benoît, je savais qu’on pouvait arriver à coller aux modèles tout en restant soi-même.
Au bout du compte ça été un vrai plaisir de rentrer dans le dessin de Jacobs, et je me suis rendu compte qu'il était encore plus riche que je ne le pensais en tant que lecteur.

Avez vous changé votre technique de travaille entre vos série régulières et la Machination Voronov ?


Oui. D’habitude, je fais beaucoup de croquis. Par ailleurs, je n’avais pas à faire les couleurs, qui étaient réalisées par Didier Convard pour la Machination Voronov et ensuite par Madeleine Benoît «  Madeleine 2000 ». Je n’avais donc pas besoin d'utiliser le papier que j’utilise normalement quand je travaille en couleur directe, surtout qu’il supporte mal le grattage et est difficile a gouacher.
J’ai pris un papier plus lisse, plus facile à travailler avec la plume, qui est mon instrument de travail. Je me suis remis à travailler en noir et blanc, ce qui n’est pas désagréable non plus.

Etiez vous soulagé de ne pas avoir les couleurs à faire ?

En couleurs, j'ai l'habitude de faire des ombres, des nuances….Le principe de Blake et Mortimer, c’est la ligne claire. C’est d’ailleurs presque lui qui l’a inventé puisque c’est lui qui a recolorisé les premiers albums de Tintin. Jacobs était un grand coloriste. Il avait une gamme de tons particulière, il faisait des mariages de couleurs qui pourraient choquer mais qui passent très bien. Faire un exercice de style sur la couleur ne m’aurait pas déplu mais je n’avais pas trop le temps. Pour moi, c’était une récréation, je ne voulais pas y passer des années.
Mais un jour, j’aimerais bien en faire un en couleur, pour comprendre le système chromatique de Jacobs.

Avez vous fais des recherches particulières pour ce projet, par exemple en prenant des lieux réels pour modèles comme faisait Jacobs ?

Je ne sais pas comment faisait Jacobs, mais quand c’est possible d’aller sur les lieux, on y va.
Pour la Machination Voronov, Yves Sente et moi-même nous sommes rendus à Liverpool, pour voir les lieux où se passe une séquence et où John Lenon et Paul Mac Cartney se sont rencontrés. C’était très émouvant, surtout pour Yves Sente, qui est un très grand fan des beatles (sourire).
On peut aménager le scénario et la mise en scène, en fonction des lieux. On s'aide en prenant des photos, des croquis. C’est l’idéal.
Pour la base de Baïkonour, c’était un peu compliqué, d'autant que dans les années cinquante, c'était un endroit secret, mais une cousine m’a trouvé des renseignements dessus grâce à internet.
Pour le reste, costumes, voitures, j’ai utilisé des livres.

Qu’est-ce qui a été plus difficile, passez de la ligne claire au réalisme ou l’inverse ?

Je n’ai pas l’impression d’avoir eu des difficultés. Le plus dur, bien sûr, dans un premier temps, a été d’essayer de mettre mon style de côté pour faire de la ligne claire mais j’avais aussi l’impression de faire déjà de la ligne claire.
Le style que j’ai élaboré, plus au moins inconsciemment, est un style réaliste, mais relativement clair. Quand j’ai commencé, mon modèle était Giraud, avec Blueberry, ou ce qu’il faisait sous le nom de Moebius. Mais c’était aussi Tintin, les ouvrages de Jacobs, ou Alix, qui m’avaient nourri quand j’étais gamin.
Pour brider cette tendance à m’inspirer de Giraud, j’ai emprunté un trait simple et sans hachures à la ligne claire. Giraud était un virtuose de la hachure, ce qui n’était pas mon cas. En plus, j’avais la flemme (sourire).
L'exercice serait plus difficile de faire un dessin de type Franquin ou Hergé. Jacobs faisait aussi du réalisme, même si par certains aspects, comme des attitudes, la façons d’exprimer une action, son style rejoint celui d’Hergé.
Quand on fait une série comme ça, on évite d’introduire trop de réalisme. Quand je fais marcher Mortimer, j’évite de trop décomposer le mouvement pour trouver une attitude originale. Le génie des grands dessinateur c’est de trouver la bonne attitude, celle qui exprime l'action au mieux. Je vais volontiers dans cette simplification.

Que pensez vous en général , des reprises d’une bandes dessinée par un autre auteur ?

Si c’est bien fait, je suis favorable. Qui va se plaindre de la reprise de Spirou par Franquin ? Pour le principe, j’ai rien contre, c’est au lecteur de décider si ça vaut le coup. Je sais que ce n’est pas évident pour lui. Je me souviens des autres reprises de Spirou. Évidemment, passer après Franquin, ce n’est pas évident. Le travail de Fournier était tout à fait honorable mais pour ma part, je m’y retrouvais plus.
Je me suis posé la même question quand j’ai repris Blake et Mortimer. Est-ce que les lecteurs allaient avoir la même sensation? Je ne fais pas du Jacobs, même si j’essaye d’être proche de ses personnages.
 
Quand vos propres personnages sont repris, êtes-vous satisfait ?

Ils sont repris d’une façon tellement différente... J’aime autant, d'ailleurs. Autant que ce soit une re-création.
J'en apprécie certains. Par exemple le travail que Prud’homme avait fait sur Ninon m’a plu.
Au début je trouvais que son style était assez éloigné du mien. Sans copier, il a réussi à développer un style plus personnel que je trouve formidable. Je regrette qu’ il ait ensuite abandonné ce style pour son style actuel, qui fait plus « arts & essai ».
Le travail de Mérale était intéressant également. Le style était puissant et plein de personnalité. Pourtant, le lecteur se retrouvait-il dedans ? Je n’en suis pas persuadé. Il faut dire que c'était des séries parallèles, pas réellement une reprise.

Vous avez parlé tout à l'heure de « Dernier Chapitre ». Avez vous pris du plaisir à faire vieillir les personnages  ?


Oui, c’était très amusant. J’aurais bien aimé continuer d’ailleurs. On avait des projets, on en a parlé à des auteurs. Certains étaient emballé puis sont devenus réticents par la suite. Nous avons été un peu découragés.

Comment cette idée est-elle venue ?


Didier Christman et Didier Convard en ont eu l’idée et m’en ont fait part.

Avez vous des séries que vous auriez aimez faire vieillir mais que vous n’avez pas pu faire?

Oui. Nous avions évidemment un projet sur Tintin (sourire). C’était absolument impossible.
Nous aurions aimé traiter des séries comme celle de Thilieux, Gil Jourdan... Il y avait aussi Blueberry. Giraud était d’accord au début puis il a changé d'avis.

Valérian ?

Nous y avions pensé aussi mais Mézieres n’était pas très chaud.

Vous avez de nouveau travaillé avec Convard en réalisant les couvertures et quelques pages du « Triancle Secret ». Êtes vous intervenus sur le design des personnages ?


Non, pas du tout. Je suis arrivé après la bataille. J’ai dû dessiner les personnages d’après le style de Falque, ce qui n’a pas été simple.

Pourquoi ?

Parce que nous n'avons pas du tout la même façons de dessiner les personnages. Je sais pas si ils sont très ressemblants (rire).

Passons maintenant aux ouvrages que vous avez scénarisé vous-même. Comment est venue l’idée du cahier bleu ?

L’idée du cahier bleu est venue d’un travail d’illustration que je venais de faire pour « Bolley », une petite boîte avec des sérigraphies. Le sujet était une ligne de métro, qui ne passe pas très loin (ndlr : la ligne 6). Pour ce travail, j’ai beaucoup circulé sur cette ligne et j‘ai pris beaucoup de photos. Une partie de la ligne est à ciel ouvert et on voit les fenêtres des immeubles, plus au moins opaques, s’éclairer la nuit. C’est de là qu’est venue ma première idée du Cahier Bleu : quelqu’un qui rencontre une personne depuis le métro. Et par ailleurs j’avais une autre image en tête, celui d’un tableau de Hopper, qui représente une femme avec un air triste dans un hôtel, en train de lire une lettre.
En général quand je raconte une histoire, je ne pars de rien. C’est juste une idée, une scène, un personnage, un décor.
J‘aime bien quelque fois lire les romans qui sont très documentés, qui dépeignent un milieu par le menu. Mais ça, j’ai pas envie de le faire (rires). Je préfère raconter des histoires plus simples qui peuvent arriver à chacun de nous, sans trop rentrer dans les détails. Peut-être que la prochaine fois j’aurais envie de faire quelque chose de plus documenté.
Je n’ai pas de grandes histoires à raconter, qui dorment au fond de moi... Ou alors elles sont inconscientes.

Beaucoup de dessinateurs parlent du problème de passer de la planche de BD à celle de la feuille d’écriture du scénario. Avez-vous demandé des conseils ?

Non, je voulais vraiment faire ça tout seul. D’abord je voulais savoir si j’en étais capable. Je pensais n'avoir aucune imagination : je ne partais pas gagnant, loin de là, mais finalement j’ai trouvé cela assez simple.
Il m’a suffit de m’asseoir devant ma feuille et de me laisser rêver. On tire un fil de notre imaginaire et tout le reste de la pelote nous vient. Le boulot le plus important est de savoir tout mettre en ordre et de structurer tous les éléments. C’est une des parties que je préfère.
Finalement, j’ai trouvé cela plus simple que de dessiner. Bien sûr, je n’ai écris que deux petits scénarios et pas la Condition Humaine (sourire).

Du point de vue graphique, préférez-vous dessiner des histoires contemporaines ou se déroulant au moyen age ?

Sans aucun doute, je préfère dessiner le passé. Je crains un peu la ligne droite, je n’arrive pas à dessiner les immeubles sans une règle, sinon ils sont bancals. Pour faire un château ou une vieille maison, je me sens à l’aise car je sais que je n’ai pas besoin de dessiner un trait parfait, au contraire.
Pour les costumes, malgré mon expérience, j’ai toujours du mal à dessiner un pantalon moderne. Les voitures me posent également quelque difficultés, même si j’aime bien cela. Je parle bien sûr des voitures anciennes car les actuelles ne présentent pas beaucoup d’intérêt.
Dans une BD contemporaine, je vais avoir à dessiner des choses qui vont m'ennuyer, c'est quasi inévitable, même si je fais mon maximum pour l'éviter (sourire). Bien sûr, dans une BD historique il y a aussi des scènes ennuyeuses. Par exemple, pour un repas, on doit se documenter sur le type de plats, de couverts utilisés, les chaises sur lesquelles les protagonistes s’assoient. C'est compliqué mais je suis plus à l’aise pour ce type de scène que pour dessiner une table avec des gens qui boivent un café.

Travaillez vous d’après des modèles, des photos ?

Quand je fais de la bande dessinée, non. Si je devais rechercher des photos, ce serait trop long. Avec le temps, j'ai acquis une certaine habileté pour dessiner les personnages sans avoir besoin de modèles. Par contre pour des travaux plus personnels, il m’arrive d’utiliser des photos, des modèles, des portraits.
Je feuillette un magasine de mode, et je trouve une photo qui m’intéresse pour l’expression ou la lumière. Je prend le premier crayon qui me vient, un feutre, une pierre noire, un fusain, puis je fais des essais de papier, de couleurs.
Pour une bande dessinée, je n’en éprouve pas le besoin. Je peux m’inspirer d’un personnage vu, mais cela restera lointain. Je vais prendre une ossature, des proportions. Je ne vais pas le photographier sous toutes les coutures. En réalité, je l’ai déjà fait et je ne m’en sers pas. Pris dans le feu de l’action, je préfère travailler plus spontanément.

Et pour la couleur?

Au départ, j'utilisais carrément des aplats, ce qui était d'ailleurs imposé par les moyens de reproduction de Fleurus. Pour Masque Rouge et les Sept vies de l’Épervier je faisais les couleurs de manière traditionnelle. J’utilisais des bleus, puis de l’aplat. Quand je faisais une ombre, je ne faisais pas de nuances. Maintenant je travaille encore un peu comme ça, même si j’utilise des pinceaux, des encres. J’ai toujours besoin de créer une lumière, une ombre, mais je n'aime pas trop compliquer la mise en couleurs. L’image ne doit pas devenir une illustration.

Vous donnez une attention particulière au choix du papier ?

Oui, comme tous mes collègues. Ce n’est pas rare qu’on se lamente sur la perte de qualité du papier. Nos plus grand problème sont dus au matériel.
Il faut trouver le bon papier, celui qui correspond à l’album. En plus si on travaille en couleur il faut que tout soit compatible. Malgré la diversité du papier que le commerce peut offrir, on a toujours du mal à trouver la bonne moyenne.

Vous donnez généralement des yeux clairs à vos personnages. Les yeux sombres sont une contrainte pour vous ?

Non. C’est plus facile pour moi de donner des expressions avec des yeux clairs. Je ne sais pas pourquoi (rire). J’ai plus de mal à donner une expression aux yeux noirs en gros plan. Ce n’est pas parce que je n’aime pas les yeux noirs.
Souvent aussi, je dessine des brunes, parce que c’est plus facile (rires). J’ai du mal à trouver une manière assez élégante de faire les cheveux blonds, roux, sans leur donner un côté trop réaliste.

Vous allez sortir un livre avec Daniel Maghen, rassemblant beaucoup de vos travaux. C’est lui qui vous a contacté ?

Oui, c’est lui qui voulait faire un livre.
Il doit y en avoir deux, la suite de Pèle Mêle, « Pèle Mêle 2 » (sourire), qui sera plus axé sur les travaux déjà parus. Dans celui qui sera publié chez Daniel Maghen, il y aura une grande part d’inédits. Il sera plus axé sur le dessin. Autant que les deux soient différents.

Qu’y aura-t-il dedans ?

Tous les croquis que je peux faire à mes moments perdus, quand je fais une illustrations ou un dessin.
 
Quels sont vos projets actuels en BD ?

Je travaille sur une bande dessinée qui a été écrite par Pierre Christin. C’est un album unique, qui paraîtra chez Dargaud an août prochain.
Depuis longtemps, nous avions envie de travailler ensemble. A la fin de Blake & Mortimer, nous devions faire un livre illustré dans la collection « les Voyages de Pierre Cristin ».
Il m’a proposé un synopsis avec un personnage de femme qui me plaisait beaucoup, ce qui a retardé l'écriture du scénario que je me préparais à réaliser, puisque le sien était déjà prêt. C’est une histoire d’espionna ge sur un fond de terrorisme. Ce n’est pas du tout une BD avec de l’action, des explosions .Il y a qu’une explosion et ce sera peut-être dans une petite case. C’est surtout la description d’un personnage que je trouve particulièrement émouvant.

Est-ce qu’il y a des genres que vous aimeriez explorer d’un point de vue scénaristique ?

Je crois pas qu’il y en a que je n’aimerais pas explorer! Il faut juste que j’en ai l’occasion. J’aimerais essayer le registre de l’humour. Pas du ZEP ou du Uderzo, bien sûr, je resterais dans mon style... Un peu comme ce qu’a fait Jack Davis.
La science fiction, ça ne me déplairait pas, à condition qu’on me laisse le temps de faire un travail de la qualité de celui de Bourgeon. Même si ça ne sera jamais aussi pointu que ce qu'il fait, parce que je n’en ai ni la patience ni le goût, j'aimerais bien créer un univers qui ne soit pas une copie conforme de ce qui existe déjà.
J'aimerais bien aussi faire aussi une histoire réaliste qui se passerait lors de la dernière guerre, autour du problème du choix.

Et d'un point de vue graphique?

Graphiquement j’aimerais trouver un style plus léger, mais à chaque fois que je suis devant la planche, je reviens à mon style. J’aime beaucoup la tradition de la bande dessinée le « cerné noir », la mise en couleur pas trop compliquée.
Le travail du strip me tenterais aussi, un peu à l’américaine. J’aurais adoré faire « Crazy Cat » ou encore du Milton Caniff. Mais on a qu’un seul style, même si on arrive à varier…Et on n'a surtout qu’une seule vie ! (rires)
Pour moi la bande dessinée, c’est comme un jeu. C’est un plaisir constant, que ce soit lire, relire des bandes dessinée ou en faire. J’ai l’impression de vivre un grand privilège.

Quel regard portez-vous sur la bande dessinée actuelle ?

Je suis très content qu’il y en ait pour tout les goûts.
Au niveau graphique, ça a énormément évolué. Un lecteur ne demande plus à un dessinateur de travailler de façons classique « à la Giraud », « à la Franquin ». Il accepte des styles qui paraissent plus négligés, plus simples ou au contraire plus élaborés.
Ce qui m’intéresse c’est que la BD, c’est un tout. Il y a bien sûr l’aspect graphique mais il y aussi l’histoire. Souvent, un dessin qui pourrait me rebuter a priori est rattrapé par ce qu’il a à dire.
Il n'y a peut-être pas que du bon et j'entends souvent dire que cette profusion de titres dans le marché de la bande dessinée risque de devenir un problème. Mais je ne peux rien y faire. Il y a toujours eu de mauvaises choses en peinture, en littérature….Globalement, ce que je trouve intéressant, c’est de voir confirmer de jeunes talent qui ont quelque chose à dire et qui le disent par le dessin.

Vous lisez toujours autant de bande dessinées ?

Oui, j’en reçois par mon éditeur mais j’en achète aussi. J’essaye de me tenir au courant de ce qui sort, par plaisir avant tout. Quand je vais chez un libraire chercher quelque chose, il m’arrive d’être découragé en voyant le nombre de titres proposés (rires). C’est peut-être un peu le problème. Les lecteurs aimeront plutôt rester avec les auteurs ou les personnages qu’ils connaissent plutôt que d’en découvrir d’autres.

Est ce qu’il y a des scénaristes avec lesquelles vous aimeriez travailler ?

Oui. Avec moi-même d’abord (sourire) , Le Tendre, Yann et d’autres. J’aime surtout travailler avec des gens que j’apprécie, comme Pierre Christin.

Avec le recul, quel a été le plus grand défi de votre carrière ?

Je ne considère pas mes travaux comme des défis à relever. Je suis relativement tranquille. Avant de faire un projet, je suis un peu inquiet, mais dès que je suis dedans, je n’y pense plus, je le fais.
Ah si, il y a l’illustration du roman de Fockner « Tandis que j’agonise », chez Futuropolis, que je ne voulais absolument pas rater. Il fallait faire la maquette soi même, choisir l’emplacement de nombreuses illustrations. Je travaillais avec Etienne Robiale, qui est un des grands graphistes actuel et qui a donc un œil assez pointu. J’étais vraiment inquiet quand j’ai débuté le projet, puis dans le feu de l’action, j’ai oublié toutes mes peurs.
Avant il m’arrivait de recommencer trente fois le même dessin, ce qui ralentissait mes projets. Le fait de travailler dans la presse, avec les contraintes temporelles que ça amène, m’a permis de me former à ne pas passer trop de temps sur les dessins. Ce n’est pas parce qu’on passe une semaine de plus sur un dessin que c’est forcement mieux. A la fin de Masque Rouge, j’ai voulu stopper cette cadence car je sentais que je ne pourrais plus faire de progrès.

Et votre plus grande joie ?

Mon premier dessin paru. C’était dans un journal « Formule 1 » des éditions Fleurus.
Ensuite l'illustration de « Tandis que j’agonise », qui a vraiment beaucoup compté pour moi. C’est un travail qui a été apprécié par un certains nombres de spécialistes, en particulier de Fockner. Pourtant au niveau dessin, quand je le feuillette, je n’en suis pas tout à fait satisfait. Mais ça c’est systématique.

Quel personnage de BD aimeriez-vous être ?

Corto Maltese. Il a une vie formidable C’est un aventurier qui rencontre des génies formidables et des femmes (rires).

Nous vous remercions de votre gentillesse.