Jean Giraud/Moebius

Moebius sur Wikipedia

interview réalisée en mars 2008 par Jean-Michel Lemaire

Bibliographie :

- Le Bandard fou (Les Humanoïdes Associés)
- Arzach (Les Humanoïdes Associés)
- Cauchemar blanc (Les Humanoïdes Associés)
- L'homme est-il bon ? (Les Humanoïdes Associés)
- Les Yeux du Chat (avec Alejandro Jodorowsky) (Les Humanoïdes Associés)
- Major Fatal (Les Humanoïdes Associés)
- Tueur de monde (Casterman)
- Jim Cutlass tome 1 (scénario de Jean-Michel Charlier, puis Moebius scénarise les tomes suivants dessinés par Christian Rossi) (Les Humanoïdes Associés)
- L'Incal (série de plusieurs cycles sur des scénarii d'Alejandro Jodorowsky) (Les Humanoïdes Associés)
- Les Maîtres du temps (adaptation du film) (Les Humanoïdes Associés)
- Gir tomes 1 et 2 (Les Humanoïdes Associés)
- Le désintégré réintégré (Les Humanoïdes Associés)
- The long tomorrow (Les Humanoïdes Associés)
- La Citadelle aveugle (Les Humanoïdes Associés)
- Escale sur Pharagonescia (Les Humanoïdes Associés)
- Les Vacances du Major (Les Humanoïdes Associés)
- Le Surfer d'argent (avec Stan Lee) (Casterman)
- L'Homme du Ciguri (Les Humanoïdes Associés)
- Le Monde d'Edena (Casterman)
- Little Nemo (avec B. Marchand) (Casterman)
- Le Coeur couronné (avec Alejandro Jodorowsky) (Les Humanoïdes Associés)
- Altor (dessin de Marc Bati) (Dargaud)
- Inside Moebius tomes 1 à 4 (Stardom / Moebius production)
- Icare (avec Jiro Taniguchi) (Kana)
- Le chasseur déprime (Stardom)
- Blueberry (scénario de Jean-Michel Charlier) (Dargaud)
- XIII tome 18 (scénario de Jean Van Hamme) (Dargaud)

La première expo montée et dédiée à l'univers de Giraud-Moebius, à la bibliothèque Maurice Genevoix à Blois en 1983 et qui a donné naissance au Festival BD-Boum est l'oeuvre d'un illustrateur compositeur : Jean-Michel Lemaire. Quel plus bel hommage que de proposer à cet auteur la rencontre à Paris avec le maître. Cette rencontre n'aurait pu se faire sans la complicité d'un certain Jean-Louis Dumureau (G.O. organisateur du Festival de Ligugé). Alors les frères Jean se sont mis à table en quête et en quatre pour vous lecteurs d'OAMB. Qu'ils en soient remerciés par ces lignes. OAMB est fier de coucher sur papier ces faces à faces. Merci 70 milles fois maître Jean Giraud Moebius. Cela nous donne du tonus pour gravir ensemble les marches... en bulles et à toi Jean-Michel Lemaire pour ta complicité avec le Maestro.

Rencontre avec un génie du trait qui, à bientôt 70 ans continue encore et toujours à se remettre en question pour notre plus grand plaisir. Regardez ses dernières productions quelle variété: Apaches, la version irlandaise, Inside tome 4, des dessins d'actualité dans le Soir, le chasseur déprime... Ne boudons pas notre plaisir. Chapeau bas l'artiste. Cet auteur d'exception a jalonné la vie de beaucoup d'auteurs dans le monde de la BD. Enfant de la bulle avec la lecture de Blueberry dans Pilote, combien de nuits avons nous passés à galoper aux côtés de Mc Clure et Chihuahua Pearl. Et puis le choc à la découverte de l'écho des savanes et de Métal Hurlant, à la lecture d'histoires qui ont marqué toute une génération de lecteurs: Cauchemar blanc, Arzach, Le garage hermétique, Les yeux du chat, l'Incal... Des oeuvres essentielles qui feront passer la BD vers le 9ème art.

L'idée de faire Apaches?

C'est Max Armanet, un bon copain avec qui et pour qui j'ai travaillé pendant un an sur les pages d'actualités dans la vie (d'avril 2001 à mars 2002) qui un jour m'a apporté l'idée. Passionné par les indiens et touché par les pages sur Géronimo parues dans le cycle OK Corral, il est arrivé avec toutes les dites pages photocopiées et rangées dans un classeur et cela faisait une histoire. J'ai tout de suite vu qu'il y avait un potentiel. En plus j'ai trouvé très intéressant d'avoir la possibilité de revenir sur des dessins, de revoir chaque page pour traquer les petites fautes les petites pétouilles que j'avais laissé passer par négligence ou par cécité (myopie) afin de l'améliorer. Je sais que ça ne se fait pas à moins d'avoir un atelier comme Hergé, mais bon...

Tu l'avais déjà fait pour "Ballade pour un cercueil" entre la prépublication dans le journal Pilote et la parution de l'album, certaines cases ont été complètement redessinées.

Ah, je ne m'en souviens pas. Mais j'ai toujours adoré semer le trouble chez les lecteurs. Par exemple à chaque réédition du Garage Hermétique, je m'étais promis de rajouter une page supplémentaire. Je l'ai fait deux ou trois fois et puis comme mes relations avec les humanos se sont un peu distendues après le départ de jean pierre Dionnet, les rééditions se sont faites sans mon avis. Il aurait fallu que je le dise, ils en auraient peut être tenu compte. Et puis en même temps, c'est un truc un peu idiot. C'est bien d'avoir envie de le faire, de le faire tant que c'est possible. Mais il ne faut pas que ça devienne une obligation. Le travail sur "Apaches" m'a amené beaucoup de bonnes surprises. Il y a des dessins à l'encre sur papier et ceux que j'ai agrandis et modifiés à la palette graphique. Par exemple il y a une image où on voit Blueberry, le cul dans l'eau dans un torrent (page 14). L'image est fort agrandie grâce à un rajout de décor autour, de rochers, de branchages et d'arrière plan. C'est génial on ne voit pas la différence.

C'est un album très agréable, le changement de format apporte beaucoup à la relecture.

Oui il se relit avec beaucoup de fraîcheur. C'est là qu'on ne peut pas soupçonner mon éditeur de m'avoir téléguidé car chez Dargaud ils étaient ravis de cet album ils l'aimaient bien mais ils y croyaient moyennement, ce n'est pas un gros tirage mais le succès est arrivé et ils ont été forcé de rééditer. Contrairement à la réédition de la mine de l'allemand et le spectre aux balles d'or réunis en un seul album, très beau qui n'a pas trop marché. Ce qui m' a déçu dans la mesure ou c'était deux albums mythiques. Mais je le comprends, il n'y avait rien de vraiment nouveau à part la couverture...

Alors que sur Apaches il y a une lecture différente, on lit un nouvel album. Car le scénario du Cycle "Ok Corral" était complexe.

Oui car dans "Ok Corral" ça tournicotait dans tous les sens. Je me suis beaucoup amusé à faire cette histoire. En plus j'y ai vu mes limites de scénariste. Car j'étais très ambitieux aussi bien au niveau du dessin qu'au niveau du scénario et j'ai bien dû admettre que je n'avais pas les qualités d'un hyper professionnel pour tenir tout ça! En même temps, les efforts ont été portés sur des zones où les hyper professionnels ne vont que très rarement, ce qui fait que ça donne une histoire rigolote qui a bien fonctionné.

L'idée de mettre Blueberry au lit, c'est surprenant, on ne s'attend pas à ça.

C'est une idée qui était essentielle pour plein de raisons. C'était fatal que ça lui arrive. Compte tenu du timing: entre la disparition de Jean-Michel CHARLIER et la reprise de Blueberry, 7 ans se sont écoulés. Il fallait trouver quelque chose qui ne soit pas artificiel. J'ai tué Blueberry et là il y a un artifice de scénario un peu magique, un peu symbolique qui fait que finalement, il n'est pas mort, il est vivant. J'avais une idée que je n'ai pas réussi à mettre. C'était que: quand le journaliste va vers le fort et que les indiens lui piquent son ombrelle (pour moi l'ombrelle, le parapluie, ça a une connotation fort symbolique), donc elle disparaît et Blueberry meurt. Le soir il est mort, le matin il est vivant. On n'a aucune explication sauf que le matin, on trouve l'ombrelle derrière sa porte... Je ne l'ai pas fait parce que je n'ai pas osé. (éclat de rire) Alors là c'est un scoop parce que je ne l'ai jamais dit à personne. (enfin on s'en fout, ce n'est jamais que de la BD.) Mais l'idée était que Géronimo, grand sorcier, intervenait pour sauver Blueberry. Mais pour cela, il aurait fallu que Blueberry ait une action plus déterminante sur le destin de Géronimo de façon à ce que ce soit un rendu... Mais je n'ai pas réussi à faire ça non plus. Blueberry sauve Géronimo mais il est un peu forcé, il n'a pas vraiment choisi, il est porté par les évènements. Quand même à un moment il a le choix entre aller se saouler à la cantina ou faire cette action, il hésite...

Mais c'est un peu le personnage de Blueberry d'être porté par les évènements?

Oui, mais il fait quand même des petits choix, c'est ce qui fait la différence entre un salopard et un mec qui somme toute à une belle histoire. Tu sais pour faire un scénario, moi j'aime bien, mais il faut vraiment aimer le personnage, y mettre tout le respect qu'on n' a peut être pas toujours dans la vie réelle, parce que le personnage il ne fait rien vraiment tout seul. Il dépend complètement de toi (lis Inside, tu comprendras).

Des projets?

Par rapport à Blueberry? Bien sûr mais pas pour le moment. Je suis un peu tiraillé en deux, d'un côté j'ai envie de peaufiner l'histoire de Blueberry et d'une certaine façon je deviens biographe plus qu'auteur de BD... De l'autre coté quand je sens cette tentation de la biographie, j'ai une réaction un peu sauvage qui est de dire merde et de partir sur une histoire qui serait guidée par le désir unique de faire une bonne histoire. Je te présente Isabelle qui est mon éditeur, ma femme et mon agent... Je suis en train de travailler à fond pour Stardom. Il y a la série "Inside Moebius". Je viens de sortir le 4 ème Volume.

Je l'ai acheté à Angoulème.

Tu l'as lu ? Est ce que ça t'a amusé ?

Oui, Beaucoup.

C'est marrant hein ?

Sous son aspect Journal, c'est de la vraie BD où on retrouve tout ton délire.

Oui, Il Y a de l'aveu. Quand je regarde la nouvelle vague de la BD (l'Association), je trouve que ça y ressemble un peu. Mais, quand on regarde la mise en pages, le découpage, la taille des personnages, on voit bien que c'est de la BD de Papa.

Tu es dans une narration des années 70.

Si je voulais casser ça, je pourrais y arriver. Mais, est ce que j' en ai vraiment envie ? Il faudrait réprimer les proportions...
Un des inventeurs de la modernité c'est Schultz et quelques auteurs de syndicates américains qui avaient capté la répétition qui permet de se caler sur une pensée adulte dans l'expression du discours. Même les pieds nickelés ou Gasoline Alley (de Frank King) c'est austère dans la mise en pages. Mais ils avaient mis le doigt sur l'essentiel... Et les auteurs contemporains comme Chris Ware et même Crumb, tout les dessinateurs de l'underground, ils se calent sur les années dix, quinze, vingt. C'est la réaction qui est venue contre les super héros les comics qui eux gesticulent.

JLD: On en a un chez nous de super héro.

C'est qui?

JLD: Notre président, tu parles de gesticuler tout azimuts.

Ah non, je ne voulais pas dire ça. Mais c'est vrai que c'est ce qu'on lui reproche. Quand je fais Blueberry, ou même Inside, ou toutes les séries que j'ai faites, je suis dans cette école là. Ça ne doit pas gesticuler, mais ça jerke, ça twiste, ça sautille. C'est comme au cinéma, les plans changent. Alors que l'école ancienne, c'est plutôt le théâtre. Tu es assis dans ton fauteuil...

Mais toi, tu as les 2 écoles.

J'ai toujours du mal à garder une discipline vraiment théâtrale. Je peux le faire pour une scène. Mais faire quelque chose qui soit complètement dans une contrainte, dans une ascèse graphique, j'ai du mal. Je n'ai même pas l'idée de le faire. Et si j'en avais l'idée, je souffrirais. Mais, bon, peut être que la souffrance peut amener des échappées magnifiques...

Toi, tu as besoin d'aller à chaque fois vers des choses qui te donnent envie.

Oui j'ai vraiment besoin d'avoir ma liberté. Et puis tant pis, je ne vais pas renier ma formation, mon histoire, mon époque pour être à la mode. Je prends le risque d'être un peu archaïque sur certains aspects. Tu vois par exemple quand j'ai fait XIII, (la version irlandaise XIII n°18) l'album que j'ai fait (rires) on dirait un Black et Mortimer.

Pas complètement quand même.

Pas complètement, mais y a certaines images...

On sent que sur certaines scènes tu t'es, pas bridé, mais presque, pour rester dans le style.

Oui et puis pour raconter.

Il y a des histoires qui doivent se raconter comme ça.

Oui, et puis tu vois, je ne sais même pas si William Vance n'aurait pas peiné avec ce scénario. Un peu différent de ce qu'il fait habituellement, par exemple il y a certaines images dont une où il rentre dans la prison de Crumlin Road, c'est du Jacobs.

Oui, mais ça c'est une bonne surprise, parce qu'on ne t'attend pas du tout dans cet exercice là et puis l'album se lit bien, on passe un bon moment.

Oui, et j'aime bien créer des surprises basées sur un travail sérieux, des options conceptuelles inattendues mais qui ne soient pas des parodies. Quand j'ai fait XIII je m'y suis donné à fond. J'ai vraiment essayé de le faire du mieux possible. De même quand je fais du Blueberry. Je retourne de très bonne foi dans mon histoire personnelle pour rentrer dans un système de lois auxquelles je me soumets avec grand plaisir parce que je sais que ce sont des tremplins à la beauté, ni plus ni moins que quand je fais du Moebius. Ce qui ne veut pas dire d'ailleurs qu'en tant que Moebius je n'ai pas de lois. Ce sont des lois un peu différentes, plus mouvantes que j'invente au fur et à mesure mais c'est assez sympa de se donner des cadres et de savoir que c'est soi même qui se les donne.

Et puis dans Moebius tu peux te surprendre.

J'essaie. Se surprendre... J'en ai souvent parlé. Mais, est ce possible ? Se surprend on plus avec une nouvelle casserole qu'en allant gratter les fonds de la vieille ? Il y a des endroits de soi où on n'est jamais allé mais, peut on aller au delà de soi ?

C'est le plaisir d'aller voir ailleurs.

Que rencontre t'on en allant voir ailleurs ? Sa limite.

Une année à Angoulème, je t'avais vu dans la bulle des fanzines, je t'avais suivi un petit peu, ( rires ) tu regardais avec attention et plaisir chaque revue. Il n'y a pas beaucoup d'auteurs qui font ça, tu cherchais à être surpris agréablement ou désagréablement... C'est ce qu'on retrouve un peu dans ton travail, tu prends un peu ici, un peu là et tu transformes en Moebius ou en Giraud.

J'ai mes maîtres. Ce que j'ai toujours adoré c'est aimer. J'aime aimer. J'aime l'amour et la chose rare, découvrir des artistes. Quand on aime quelque chose que peu de gens aiment, ça positionne d'une drôle de façon. Découvrir quelque chose amène une émotion mais il y a aussi une émotion à approfondir l'amour qu'on a pour quelque chose parce que si on n'aime que découvrir ça reste superficiel. Il faut avoir la double attitude. De temps en temps on tombe sur des trucs qui sont plus balèzes. Il m'arrive d'aimer des choses pas viables.
Dans l'amour que j'ai pour les auteurs il y a une certaine forme d'envie. J'envie son coup de patte... J'essaie de rentrer dans son geste. Je vais jusqu'à copier un dessin.

Quand on dessine et qu'on aime le dessin on trouve ce plaisir à voir quelqu'un dédicacer.

Ah ? Oui, peut-être. Je me suis aperçu que la reproduction du travail d'un autre sans faire de la copie servile c'est vraiment constructif et rigolo. J'ai vraiment fonctionné comme ça pendant des années... après je me suis approprié ces manières de faire. Par exemple le Garage Hermétique est plein de dessins comme ça.

Le Garage Hermétique est vraiment impressionnant parce qu'on y découvre toujours de nouvelles choses.

Ah ben c'est un catalogue. C'est parce que cette façon de travailler était le fait d'un jeune homme en pleine érection, ma testostérone passait dans mon encre de chine et dans mon pinceau, c'était éminemment sexuel. J'étais un obsédé sexuel et cette obsession passait dans ma créativité parce que dans l'analyse freudienne et même plus ancienne, la créativité et l'art sont une réutilisation de l'activité sexuelle et c'est pour ça que en vieillissant là, je vais avoir 70 balais, je ne peux plus faire comme si j'étais un pénis vivant. (rires) Tu sais en train d'éjaculer des idées. Il y a autre chose qui doit apparaître peut être du même ordre mais transposé d'une autre façon.

Pour revenir à l'actualité (rires) Le major déprimé?

Ce n'est pas le major déprimé. C'est le chasseur déprimé parce qu'il y a un jeu de mots tu vois chasseur de primes, chasseur déprimé.

Oui mais j'ai juste vu un petit entrefilet dans un dossier de presse du futuroscope c'est une suite?

D'une certaine façon c'est un peu ça parce que quand on constate qu'on n'est plus dans la course de la harde et que les jeunes mâles te poussent dehors il faut trouver une position alors tu deviens un vieux solitaire qui va grommeler au fond du desert. Enfin il faut trouver une solution et on a de bonnes pistes avec nos ancêtres qui ont pratiqué ce genre de sport, comment arriver à être vivant sans être en rut ? Ça passe par une petite dépression mais on reste en chasse quoi. (rires)

Cela serait une suite au major ou c'est quelque chose de complètement indépendant parce que il y a eu un début de suite qui était paru dans Moebius comics?

Et que j'ai trouvé pas très convaincant. Ça s'appelait "l'Homme du Ciguri". C'est sorti dans des conditions que je n'ai pas approuvées et qui ont fait que évidemment ça a été un échec éditorial, mais grave parce que ça a presque été un accident industriel du type Airbus ! Ça a été tiré à 50 pages au lieu des 100 que je voulais, en couleurs au lieu de noir et blanc et en tirage cartonné! Moi, je voulais refaire un Garage, un pavé déambulatoire un peu rigolo, mais j'y ai mis trop d'emphase. J'ai eu du mal à assumer le côté un peu dépressif dans lequel je rentrais et l'album est très contracté, grandiloquent, plein de souffrance, plein d'expressions non abouties.

Moi je sais que j'ai eu du mal avec la version couleur mais j'ai eu la chance de le lire en comics dans DHP puis après dans Moebius comics, ça fonctionnait plutôt bien.

Ça fonctionnait bien oui, j'avais fait presque 25 pages de suite qui se sont arrêtées là. J'ai bien l'intention de les réutiliser mais je ne sais pas encore comment. Ce que j'aimerais c'est pouvoir reprendre les 50 pages qui ont déjà été éditées, et de pouvoir les éditer moi même en noir et blanc mais je ne sais pas là avec les Humanos. Je ne sais pas ce qui passe là bas, il faudra que je trouve un moyen...

En tout cas, on va attendre le chasseur déprimé (rires) avec impatience, les 2 petites cases qui sont dans le dossier de presse, on rêve de voir la suite...

Il est sympa, je suis parti dans un truc très fou fou comme ça en faisant des collages , des juxtapositions, en partant dans des idées de scénario somnambuliques parce que j'essaie de trouver des équivalences à l'état de grande liberté et de complicité que j'avais avec les lecteurs et donc avec moi même (rires) à l'époque où on a sorti le Garage.

Je trouve que cette complicité là tu la retrouves dans Inside.

Oui sauf que au niveau stylistique on est ailleurs, dans un dessin beaucoup plus simple. Alors que dans le chasseur déprimé j'essaie de ne pas reconstituer de façon artificielle cette situation de l'époque (chose que j'avais essayée dans l'Homme du Ciguri) mais j'essaie d'être contemporain à moi même et de voir ce qui se passe quand je me mets en danger. Pour me mettre en danger j'utilise plein de trucs pas vraiment de façon préméditée c'est improvisé, j'utilise le moment. Je travaille beaucoup avec l'ordinateur et la palette graphique parce que ça me donne les capacités formidables de revenir, de tailler, de recommencer. C'est quelque chose de complètement inédit et là j'arrive au bout et je me retrouve un peu coincé dans mon désir de faire un truc un peu gros parce que comme ça sort chez Stardom qui est une petite maison d'éditions, on ne peut pas. On n'a pas pu faire un album de 100 pages comme je le voulais. On va donc sortir 50 pages mais quand même en souple et en noir et blanc. On va essayer de trouver un joli papier et une présentation agréable, dans la tradition Sartom et puis je voudrais faire un tirage de tête en format journal. Je voudrais qu'on aie un carton à dessins avec des planches au format avec un papier un peu fin tu vois...

En tant que Moebius, tu as des projets, après ?

Oui il y en a mais ça reste très ouvert.
Une des idées sur laquelle mon éditeur, Isabelle me demande de réfléchir c'est un projet grand public qui donnera à Stardom une certaine ampleur. Faire un véritable album qui puisse être distribué en librairie et faire de bonnes ventes.

J'ai 2 petites questions en plus : 1 c'est juste pour aborder le sujet parce qu'on n'en a peu parlé et c'est dommage, c'est Arzak Rhapsody que j 'ai pris plaisir à regarder...

Ça t' a plu ?

Ah oui je trouve que c'est la première fois au cinéma où on retrouve réellement ton dessin.

C'était ça le but, des fois ça marche bien. Il y a deux, trois films qui sont un peu décevants.

Le DVD a eu une distribution assez chaotique qui fait qu'il était très dur à trouver. Je trouve que c' est vraiment dommage, il y a plein d'amateurs de Moebius qui sont passés à côté.

Tu sais comme ils sont passés à côté de pratiquement tout ce que l'on fait à Stardom. Ce sont toujours des tirages très limités, même Inside ne touche pas son public d'une façon vraiment totale. En principe, on a un distributeur, mais par exemple pour le troisième, on a eu des retours ce qui est quand même incroyable...

Oui, c'est compliqué à trouver. Moi qui habite Blois, une petite ville sans librairie spécialisée BD, à chaque fois, j'ai du le commander ou l'acheter à Angoulème.

Cela devient compliqué pour tous les éditeurs c'est pour ça moi je ne rouspète pas ça me navre mais... Tu vois quand j'ai fait la sortie de XIII j'ai glissé des petites infos sur Inside...

JLD: XIII tu le trouves partout lui.

Il y a un autre petit sujet que je voulais aborder rapidement. Je lai vu récemment, malheureusement en japonais, c'est Thru the Moebius strip.

Tu l'as vu?

Oui je l'ai vu , je n'ai pas compris grand chose parce que je ne parle pas japonais , mais c'est plutôt réussi.

C'est plutôt réussi oui. Il y a 2 ou 3 séquences un peu foireuses.

C'était pour savoir ce que tu as fait réellement ?

J'ai dicté une histoire, tout ce que j'ai dit a été retranscrit et donné à un scénariste professionnel d' Hollywood qui en a fait un truc que j'ai vu, sur lequel j'ai donné mon aval. Après j'ai fait un énorme boulot sur les personnages puis ça a été réalisé par des équipes en Chine qui étaient extrêmement préoccupées par la technologie. Avoir une qualité d'animation et en profiter pour former des équipes et puis se coordonner avec l'université de HongKong et le gouvernement de Pékin, le gouvernement chinois, pour créer des pôles d'animation technologique, de compétences. Tu vois le film a servi à tout un "binz" qui dépasse largement la création artistique ce qui fait qu'il y a eu deux, trois réalisateurs qui se sont succédés et qui n'ont pas pu s' approprier le film de façon totale. Quand ils l'ont fait ils ont hésité à me remettre sur le coup, par exemple il y a un monstre qui poursuit le personnage quand il arrive sur la planète c'est ridicule parce qu'il ne colle pas avec l'écologie.

Avec l'idée de départ?

Oui avec le système biologique et il y a plein de trucs comme ça qui font que le film a perdu un peu de sa cohérence. Mais le résultat est plutôt agréable, c'est de la belle animation en images de synthèse.

Moi le reproche que je ferai c'est que je l'ai vu en japonais et que les sous titrages étaient en chinois.

Ça vient d'être acheté par une maison de distribution française.

Donc ça va sortir en France, c'est une bonne nouvelle.

Il y a un problème, c'est que les gens avec qui j'ai travaillé ont tellement dérivé au niveau de la production que les termes légaux de ma collaboration se sont dilués peu à peu et que nous, enfin Isabelle, qui veille aux intérêts de mon travail est très dubitative et répugne à rentrer dans une véritable dynamique de promotion.

Ce n'est pas évident parce que au début c'est beaucoup toi et puis finalement moins, alors que quand tu collaborais à Willow ou au cinquième élément tu savais que ça allait être dilué.

J'aurais pu exiger d'être plus présent mais il aurait fallu que j'aille constamment à HongKong et puis j'avais d'autres choses à faire... Si j'avais été un véritable homme de cinéma je n'aurais pas lâché le morceau.

Ce n'est pas ta manière de fonctionner.

Non, il aurait fallu que la production soit beaucoup plus respectueuse de mon avis, de mon travail. Ils m'ont attiré dans des traquenards pour me retirer la position que j'avais au départ. Au départ j'étais coproducteur à 1/3 et je me retrouve rien du tout simplement parce qu'on m'a baladé, on me disait il faut signer tout de suite et j'ai été confiant, ce que je déconseille. Dans la collaboration moi je fais tout de suite confiance, je donne mon amitié. Mais, il y a des gens qui n'ont pas ce genre de scrupules qui ont regardé l'organigramme et dit il faut virer celui là, celui là mais c'est l'auteur? Si il veut récupérer ses billes il n' aura qu'à embaucher un avocat à Los Angelès... 200 000 dollars pour en récupérer 300 000...

Plus le temps perdu

Plus le temps perdu, la nausée quoi. Du coup on est un peu marron. Moi ça ne me surprend pas, j'ai lu beaucoup de bouquins là dessus... Mais Isabelle n'est pas contente, ce qui fait que je ne vais pas être là pour en rajouter à la sortie du film... Moi j'aurais bien aimé quand même parce que je suis toujours avide de gloire (rires) mais si! Même si c'est merdique je veux être présent, parce que jamais je ne fabrique des trucs artificiels pour être présent dans une actualité. Mais, j'ai toujours eu dans l'idée qu'il fallait être disponible à la promotion de son travail et donc de son image.

Travail que tu as fait le mieux possible.

Oui et parce qu'on a travaillé avec des gougnafiers le truc ne peut pas se faire et moi ça m'énerve. Je serais presque prêt à passer par dessus... Mais Isabelle dit non et elle a raison. Du coup je ne serai pas présent dans la promotion de ce film au grand dam du distributeur.

Verra t'on un jour une partie du travail préparatoire ? Ça fait très longtemps qu'il n'y a pas eu d' "art book"

J'en ai encore parlé avec Isabelle hier elle me dit: "tu ne te rends pas compte, il faut que je fasse tout ici" (rires). Mais c'est vrai, elle bosse sur 10000 trucs.

Tu produis trop.

Ouais c'est ça. Il faudrait à la limite que je m'arrête de produire pour reprendre et faire une mise en pages sérieuse, comme j'avais fait pour "Fusion" que j'aime beaucoup qui est un bon boulot. Isabelle a des idées, elle voudrait faire des trucs chouettes mais on n'a pas le temps.

JDL: oui mais les "art book" c'est vrai que ça fait longtemps qu'il n'y en a pas eu.

Et qu'on entend parler de choses qu'on ne voit pas.

Oui mais ce qui est bien dans les art book comme ça, c'est soit d'être dans l'actualité chaude un peu ce qu'on faisait à l'époque. Il y avait presque des inédits dedans, des trucs tous chauds. Soit d'attendre que mes cendres soient froides.

J'ai entendu qu'il y avait des choses sur la mythologie?

Sur les expos, j'ai fait beaucoup d'expos. Il y a eu une expo érotique mais cela ne permet pas de faire un livre.

Ou des petits portefolios?

On pourrait le faire mais au lieu de le faire dans le chaud de l'action on va attendre.

Avec une petite maison d'éditions ce n'est pas facile?

Une grosse structure avec un seul auteur ce n'est pas possible, ou alors il faudrait avoir des poulains mais ça devient un autre travail.

C'est un autre métier, tu deviens éditeur.

Ou alors j'arrête de faire Stardom. Dargaud aimerait bien publier tous mes petits trucs maintenant. ils se sont faits un peu aux Humanos, un peu chez Casterman, à l'époque Dargaud n'était pas du tout outillé pour le faire, mais là maintenant ils sont tout à fait près. Mais nous avons une vision de l'avenir nous allons le garder pour nous et nous le ferons le moment venu.

à JLD: "Tu as remarqué que tu es dans l'Inside Moebius?"

JLD: "pas encore, je ne l'ai pas vu."

Je vais te montrer où tu es.

Euh Jean Michel inconscient c'est une référence à ?

Et bien il y a Jean-Mickey, Michel

J'en tire beaucoup de fierté vu que c'est mon prénom (rires)

Quand j'étais gamin, je dessinais par terre à la craie et je dessinais Mickey. J'ai fait des centaines de mickeys. C'était le truc que je savais faire.

C'était ton tag?

C'était mon tag.

JLD: C'est pour ça que maintenant on parle de petits mickeys. C'est lui qui a inventé le concept.

Ce n'est pas seulement moi, c'est la bande dessinée qui est les petits mickeys. Tu vois, regarde là, le gars avec la chemise bleue et puis t'as vu je t'ai fait avec une belle nana... Y'a pas de gag là c'est la plage, le seul gag c'est toi Jean-Louis.