Will Lambil

Lambil sur Wikipedia

interview réalisée en 2006

Bibliographie :

- Hobby et Koala
- Pauvre Lampil
- Sandy & Hoppy
- Les Tuniques bleues

Quand tu étais enfant, quels étaient tes héros de BD favoris ?

J’ai lu beaucoup de BD dans ma jeunesse, mais mes héros n’existent plus maintenant. Je peux parler bien sûr de Tintin, comme tous les belges, mais il n’a pas été mon idole. Je préférais les personnages de Jigé, comme Jan Valhardi, Don Bosco….J’aimais aussi « Pim ¨Pam poum » qui s’appelait « les garnements » en Belgique. Ils m’ont tous incité à faire de la bande dessinés.

Est-ce le métier que tu as toujours voulu faire ?

Oui, uniquement cela.
Après avoir fait l’académie royale des beaux arts à Bruxelles, tu est entré comme lettreur Chez Dupuis, quel souvenirs gardes-tu de cette période ?
Je voulais faire de la b.d.. C’est le frère de Jigé qui m’a présenté aux édition Dupuis Quand je suis arrivé chez eux, ce sont les odeurs, d’imprimerie, d’encre, qui m’ont marqué. Toutes ces odeur me faisaient rêver, moi qui voulait faire de la BD. De plus, j’étais dans la maison qui imprimait Spirou.
Ils m’ont dit : « Non, vos dessins ne sont pas encore au point. Mais il manque un lettreur vous faîtes l’affaire.. » Je leur avais montré des planches sur lesquelles il y avait du lettrage qui leur a plu.

Tu as une anecdote sur une paire de lunette, n'est-ce pas ?
 
Ah ! Un jour, j’ai eu la chance de rencontrer Jijé chez Will, le dessinateur de Tif et tondu. Il travaillait chez lui – c’était une personne qui travaillait n’importe où. Il avait mis un dictionnaire sous une planche pour dessiner.
Il travaillait sur une série qui passait en gris, en lavis. C’était incroyable ! Je lui ai dit que je voudrais faire de la BD. Il m’a tendu sa paire de lunette et m’a dit : « Tiens, dessine ces lunettes. »
Alors, j’ai commencé à faire les branches, les cercles, mais en regardant mon dessin, il a dit « Non ! C’est une paire de lunette mais ce ne sont pas MES lunettes. Regarde, il y a des reflets, des détails… »
Ce fut un déclencheur. Par la suite, j’ai fait des dessins d’après nature, en observant la particularité des personnes, comme des objets. Cela m’a beaucoup marqué... Franquin aussi m’a beaucoup marqué.

Comment l’as tu rencontré ?

Il venait chez Dupuis quand je travaillais là bas en tant que lettreur. Pour nous, c’était Dieu qui nous rendait visite. Il m’a donné des conseils pour le dessin.
J’ai quasiment rencontré tous les dessinateurs de cette époque, sauf Jacobs, ce que je regrette.

As tu un jour voulu demander des conseils à un autre dessinateur pour une scène en particulier ?
Non. J’ai été influencé par le dessin de Jigé mais je n’ai jamais copié.

Quelle a été la planche que tu as présentée au début quand tu t’es présenté chez Spirou ?

Ça s’appelait «  Sandy ». J’ai réalisé 24 épisodes qui ont été publiés dans le journal mais il faut savoir que j’en avais dessinées d'autres auparavant, que j'avais présentées, mais qui n’ont jamais été retenues. Je ne les ai plus, elles ont brûlés avec ma maison de l'époque. Je n’ai plus rien qui date d'avant 1958.

Parle nous un peu de Sandy...
Sandy, c'étaient les aventures d’un enfant et d’un kangourou qui se passaient en Australie. Le dessin était plus réaliste que ce je fais actuellement, encore que j’ai toujours tendance à faire du dessin réaliste.

Pourquoi avoir choisi de faire une série qui se passe en Australie ?

Cela s'est décidé lors d'une discussion avec le frère de Jigé. Nous avions ciblé un lectorat masculin de 13-15 ans. Nous avons regardé une carte et nous nous sommes dit : « Tiens, on n'a jamais fait quelque chose sur l’Australie ! ».
L’Australie était un continent peu connu du grand public à l'époque et je n’avais aucune documentation a part de grandes diapositives en noir et blanc. Je suis parti de là, et je me suis abonné à une revue australienne, une revue géographique, qui parlait que d’Australie.
Par la suite, une série télévisée ( ndlr :Skippy le Kangourou) a été diffusée, que l'on m'a reproché d’avoir copiée. Mais ce n'est pas vrai (sourire), et je peux le prouver. Je ne dis pas qu’ils m’ont copié mais moi je ne les ai pas copiés.

De quel souvenirs gardes tu de  « Sandy & Hoppy » ?


Quand je la dessinais, j’y croyais, mais maintenant, je ne pourrais pas revenir en arrière.
Je l'aimais bien, c’était ma première série, mais ce qui me gênait c’était de devoir scénariser. Je n’ai jamais aimé écrire des scénarios. Je tourne en rond en cherchant cherche des choses qui sont pas trop dures à dessiner...

Comment es-tu passé de Sandy aux Tuniques Bleues?

Quand j’ai vu que « Sandy » ne fonctionnait pas beaucoup, j’ai voulu changer mon fusil d’épaule. J’ai rencontré Cauvin et je lui ai demandé de me faire un scénario. Il a dit qu’il allait y réfléchir.
À ce moment, Salverius est mort, hélas, alors on m’a demandé de reprendre les Tuniques Bleues. Il a fallu que j'achève l'album en cours, puis que je continue la série.

Pourquoi avoir demandé un scénario à Cauvin plutôt qu’à un autre ?

Parce que j’avais fait sa connaissance et que j’aimais ce qu’il faisait. Il avait un humour qui passait bien.

Comment se passe ta collaboration avec Cauvin ? As-t-elle évolué ?

Non, elle n’a pas réellement évolué. Cauvin est une personne assez indépendante. Nous avons le même état d’esprit. Nous nous téléphonons plus que nous nous voyions. Pendant un temps, nous avons même été fâchés, mais je continuais de dessiner sur ses scénarios et cela n’a jamais gêné la série.

Quel impressions as tu eu lorsque l'on t’a demandé de reprendre les Tuniques Bleues ?as-tu éprouvé un sentiment de culpabilité ?

Non. Salverius débutait. Il avait fait construire une maison et si moi ou un autre n’avait pas repris a série, sa femme aurait traversé de de graves difficultés financières. La seule chose dont j’ai eu peur c’était que la série ne marche pas. Heureusement, elle avait eu du succès avec Salverius, et elle a continué à en avoir. Je pense que j’y ai cru tout de suite.

D’un point de vue graphique comment as tu fait évolué la série vers ton trait ?

Au départ, j'ai dû travailler un peu en catastrophe, car il fallait absolument achever l’album. Je n’ai pas eu beaucoup d’états d’âme, j’ai essayé de reproduire les personnages que Salverius avait fait. Je n’avais jamais pensé à les examiner de près auparavant, et j’ai dû le faire à cette occasion.
Je les ai sûrement mal dessinés au début, mais j’ai décider par la suite d’arrêter de copier ses dessins et de regarder ses albums. J'ai retravaillé les personnages à ma façon, tout en gardant à l’esprit la manière générale dont il les avait dessinés à l'origine.

As tu éprouvé des difficultés à dessiner les chevaux ?

J’en avais dessiné dans Sandy, mais dans un style réaliste. J’interprétais des photos, ce que je ne fais plus – du moins pour les chevaux. Je n’utilise de photos que pour les mettre en mouvement, comme pour le galop par exemple. En effet, leurs jambes suivent des mouvements précis, et je pourrais faire des gaffes si je n’avais pas de support visuel. Pour le reste, je les dessine comme je le sens. Pourtant, un cheval n’est pas et ne sera jamais quelque chose de facile à dessiner. Il évident que c'est un drôle d’animal.

Comment se passe ta documentation pour les Tuniques Bleues ?

Pour la guerre de sécession, je n’avais pas, au départ, beaucoup de documents. Salverius s’intéressait plus au côté western qu’à la guerre de sécession en elle même. Je possédais quelques livres avec des indiens – je les ai toujours d’ailleurs car cela peut toujours servir.
Actuellement, je me sers surtout de livres, ainsi que de quelques films comme « Autant en emporte le vent »…Mais je préfères travailler sur les livres.
Par contre, je ne me sers absolument pas d’Internet, je n'y ai jamais trouvé une photo que je n'aie déjà dans un livre…
S’il me fallait quelque chose de plus pointu, je pense que je pourrais essayer, mais pour l’instant Internet ne m’est d’aucune utilité.

Qu’est ce qui d’après toi, plait le plus aux lecteurs des Tuniques Bleues ?
L’humour peut-être….la dualité des deux personnages, un peu comme Laurel et Hardy.
Deux héros qui n’ont pas la même approche de l’armée.
Est ce que les critiques sur ton travail, par exemple celle que tu peux lire sur Internet, influence ton travail ?
J’ai arrêté de les lire, sinon je ne dessinerais plus. Nous retenons davantage les critiques négatives et celles-ci font mal. Je n’ai qu’une réponse à ceux qui veulent que j’arrête : « n’achetez plus mes albums !! »(rires).
En réalité, lorsque je dessine, je ne m’occupe pas beaucoup des lecteurs. Je les rejoins par mes goûts. Cauvin fonctionne un peu de la même façon. Nous partageons le même genre de vue sur la bande dessinée. Pour nous l’écriture, le dessin demeurent classique. Je ne juge pas la bande dessinée actuelle mais nous avons une approche un peu plus « bon enfant » qu'« intellectuelle ».

As-tu eu envie de faire évoluer tes deux héros, psychologiquement ou graphiquement ?

Ils sont stéréotypés. Ils représentent le militarisme et l’anti-militarisme, avec des nuances. Ils sont tous les deux complices et sont capables d’actes d’héroïsme contrairement à ce qu’ils peuvent faire croire. Bien sûr, Blutch aimerait toujours déserter, puisqu’il est entré dans l’armée un peu par accident…

Y a-t-il des personnages que tu aimes particulièrement dessiner ?

Non…les deux héros me plaisent. Je suis en train, actuellement, de redessiner un personnage du 6ème tome, Cancrelat, et c’est un sacré retour en arrière.
J’aime bien dessiner les chevaux, également. L’animal en lui même ne m’intéresse pas du tout mais j’admire sa grâce.
Par contre, je regrette de ne pas savoir bien dessiner les femmes. Les miennes sont trop stéréotypées à mon goût.

Quels sont tes westerns préférés ?

Les films de John Ford, bien sûr. John Wayne, James stuart…
J’aime la lisibilité. Dans des films comme « l’homme qui tua Liberty Valence », le côté classique permet une certaine clarté de l’action. En BD, c'est pareil, si le lecteur ne comprend pas la case c’est fichu.
Je préfère le western américain à l’italien bien qu'il soit un peu stéréotypé.
La bande dessinée américaine m’a également beaucoup influencé ; Milton Caniff, Cler (Pim Pam Poum ), Alex Raymond, Stan Drake…
Pensais-tu un jour dessiner le numéros 50 des tuniques bleues ?
style="font-weight: normal; color: rgb(255, 255, 204);">Je n’y pensais pas. Mais je ne m’arrête pas au numéros 50 ! Je continuerais tant que j’aurais des scénarios de Cauvin à dessiner.

Y a-t-il eu des histoires des albums dans lesquels tu as rencontré des difficultés ?

Dans l’album « Duel sur la manche », je devais dessiner deux bâteaux assez spéciaux, et qui avaient vraiment existé : l’Alabama et le Kearsage.
Cauvin m’avait dit : « Ne t’en occupes pas, fais des bateaux de l’époque ».
Pourtant, c’étaient des bateaux vraiment particulier, avec une structure typique. Les canons allaient d’un bord à l’autre, sur des rails.
J’ai eu énormément de problèmes à les dessiner car je n'avais pas documents. C'est un club de sudiste de Belgique qui m’a fourni les plans et la maquette de ces bateaux. Cela m’a beaucoup aidé, mais cet album est resté pour moi le plus difficile que j'ai eu à réaliser.

Discutes-tu des scénarios avec Cauvin ?

Jamais. Il ne veut pas. De temps en temps, j'essaye de lui donner des idées, mais il les suit pas. Par exemple pour « la Rose de Bantree », je lui avait dit que j’aurai aimé que les héros aillent en Irlande, parce que j’aimais bien ce pays.
Or, dans cet épisode, l’histoire se passe entièrement sur le bateau. Personne ne descend à terre! (rires)

Quel a été ton plus grand défi ?

Pour un dessinateur, le défi, c’est de se faire éditer. Ce n'était pas facile car, pour Dupuis, il n’existait qu’un seul dessinateur valable, c’était Franquin. L'éditeur voulait que l’on dessine tous comme Franquin, ce qui était une énorme bêtise.
Franquin était d'ailleurs le premier à le reconnaître : il faut du Franquin, et autre chose. Il n'a pas été évident pour moi de me faire une place.
Je pense qu'actuellement, les dessinateurs sont édités trop tôt, mais ils durent moins, à part certains.

De quel personage te sens-tu le plus proche ? Blutch ou Chesterfield ?
(sourire) C’est une question que l’on me pose souvent. A l’armée, j’ai été caporal, brigadier dans l’artillerie… Je pense que je suis plus proche de Blutch, mais j’ai pas déserté pour autant. Je suis un peu comme lui, je n’aime pas que l’on m’impose quelque chose.

Certaines histoires t’ont-elles davantage plues que d’autres ?


Oui. Une histoire m'a particulièrement plu, c’était « Vertes années ». L’album portait sur les années de jeunesse de Blutch. J'ai beaucoup aimé « Bronco Ben » également, d'un genre plus proche du western. Il y en a sûrement d’autres, mais celle-ci m’ont particulièrement plu.

Que penses tu de la série « Lucky Luke » ?
C’est une série que j’aime bien, mais le changement de scénariste trop fréquent amène un problème de cohérence dans la série. C’est un peu dommage.

Quel regard portes-tu sur la guerre de sécession ?


C'est absurde, comme toute les guerres, mais je n’ai pas voulu trop la connaître. Ce qui m’intéresse, c’est le côté graphique. Je dois dessiner des personnages qui évoluent dans une guerre, mais je n’aime pas m’attacher trop aux détails, comme par exemple les uniformes, les drapeaux. Salverius était plus « historique » que moi. Moi, cela m’intéresse moins.

Tu as également dessiné une autre série, Pauvre lampil...

Elle n’a pas marché. Nous ne vendions pas d’albums, car les gens se contentaient des strips dans Spirou. L’éditeur nous a demandé si nous voulions continuer, mais nous avons préféré nous arrêter. De plus, cette période a correspondu avec la période de froid entre Cauvin et moi.
Au début j' ai pris du plaisir à recréer, avec des personnages qui n'existaient pas, des gags qui étaient arrivés à Cauvin, à Laudec, Walthery ou à d’autres, mais cela c'est assez vite tassé. Au départ je n'avais prévu que deux planches, mais j'ai dû continuer parce que ça plaisait à la rédaction.

Tu dessinais les tuniques bleus en même temps ?

Oui, mais les deux séries ne sortaient pas avec la même régularité. On pouvait faire une planche de Lampil par ci par là, alors que les Tuniques Bleues, c’était une histoire à suivre. Quand j'arrivais à la 30ème planche de l’histoire, on me demandait quand je pensais la finir, alors que les albums de « Pauvre lampil » étaient édités simplement quand il y avait assez de planches.

Combien de temps passes tu sur une planche en moyenne ?

Je dessine à peu près une planche, une planche et demie par semaine. Il m’est arrivé d’en faire deux, deux et demis, mais plus maintenant.

Quel personnage de BD aurais aimé tu être ?

C’est une question qu’on aurait du me poser quand j’étais gosse. Actuellement, je répondrais Tintin ou Astérix.

Sur la production actuelle quels regards portes tu ?
Je n’achète pas beaucoup de BD, mais quand je le fais, je regarde d’abord les dessins. Quand le dessin est bon, je prends l'album et, actuellement, il y a beaucoup de bons dessins. Par contre, en général, je suis déçu par le scénario.
Une BD que j'apprécie particulièrement est « Green Manor ».
Je relis également beaucoup des anciens dessinateurs, comme tillieux que j’aime beaucoup. On redécouvre toujours quelque chose. Je suis un peu nostalgique, je ne le cache pas.
Que penserais-tu de la réalisation d'un dessin animé des Tuniques Bleues ?
J’aimerais bien, sur un plan commercial, car une bd adaptée en dessin animé voit son tirage augmenter, mais sur les autres plans, je pense que je serais déçu en voyant mes personnages évoluer comme ça.
C’est un peu pareil pour les statuettes. Je suis toujours déçu : elles sont bien faites mais ce n’est pas ainsi que je vois mes personnages.

Et en film, quel acteur verrais tu jouer Blutch et Chesterfield ?

Je n’y pense même pas…
Par contre, j’ai entendu des voix qui me plaisaient, à l'occasion de la réalisation de courtes séquences de promotion pour un album. Blutch était joué par Guy Pierrot, et Pierre Tornade faisait Chesterfield.
Physiquement, pourtant, je n'ai pas d'idée...

Aurais-tu aimé dessiner d'autres genres ?

J’aurais voulu faire beaucoup de choses, autre que ce que j’ai fais. J’aurais aimé par exemple avoir un autre type de dessin, même avec les Tuniques Bleues.
J'aurais aimer également réaliser une série moyen-âgeuse, comme « les Rois maudits ». J’avais justement un projet de ce type avec Yvan Delporte, mais il ne s’est pas concrétisé car je ne pouvais pas le mener de front avec les Tuniques Bleues.

Nous te remercions. Rendez vous pour le 51 ?

2007, si tout va bien, mais je ne m’engage pas trop.( rires )