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Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe

Depuis plusieurs semaines, j'ai passé pas mal de temps à m'exprimer, sur la toile, sur ce sujet, qui me tient à cœur. Pour l'instant, parlant pas mal ailleurs, je n'avais pas ressenti le besoin ni pris le temps d'écrire un billet ici (probablement parce que Brume d'Argent n'est pas un blog parmi les plus lus, ce qui ne peut certes être amélioré qu'en donnant des choses à lire). Et puis, des tas de gens se sont remarquablement bien exprimés sur le sujet, alors pour quoi en rajouter?

Et puis il y a eu le 13 janvier.

Des hordes de gens sont venus crier leur haine de la différence, leur incompréhension dramatique de ce que peuvent ressentir les populations discriminées, leur manque abyssal de compassion et leur ignorance crasse de faits pourtant basiques. Et il me semble que si nous autres, du camp d'en face, ne nous exprimons pas tous, nous laisserons courir l'illusion que, finalement, la minorité, c'est nous. Alors que les sondages nous donnaient encore majoritaires il y a encore quelques semaines.
Donc voilà, je le dis, je suis POUR le mariage pour tous, l'adoption par les couples homos, la PMA, tout ça.

dessin de Laurel

(Illustration de Laurel)

Et je le dis tout en considérant totalement indécent le fait que l'ont puisse penser me demander mon avis, ou que mon avis (ou ceux des centaines de milliers dans la rue dimanche dernier) puisse avoir la moindre importance: au nom de quel droit pouvons-nous, nous citoyens lambda, juger ce qui touche à l'intime, à l'amour entre deux personnes, à leur capacité à élever des enfants?

Juger l'amour entre deux personnes.

Quels sinistres imbéciles s'arrogent le droit de juger qu'un lien amoureux a plus de valeur qu'un autre? En vertu de quoi? Tous les pseudos-arguments que j'ai pu lire ou entendre sont navrants de stupidité et d'ignorance.

"Pas naturel" revient en force. Alors que dans la nature, l'homosexualité est non seulement monnaie courante (10% en moyenne sur l'ensemble des espèces animales où la question a été étudiée, jusqu'à 20% chez certains oiseaux comme les mouettes rieuses, qui pratiquent également l'adoption - oui, par des couples homosexuels, on n'a rien inventé), mais absolument pas étonnante d'un point de vue évolutif (diverses hypothèses existent pour expliquer cette évolution et le maintien dans les populations d'une part non négligeable d'individus homosexuels, l'une des dernières étant que certains gènes favoriseraient une fertilité accrue chez un sexe, mais une tendance à l'homosexualité chez l'autre). Pour qui souhaite se renseigner sur le sujet, de Wikipedia aux livres de Thierry Lodé (professeur à l'université de Rennes, spécialiste de la question), la littérature abonde. 

Mais finalement, qu'un comportement soit représenté dans la nature ou pas, que nous importe? Chaque espèce a ses comportements propres, la nôtre y compris : personne n'a besoin de savoir si d'autres espèces font des mathématiques pour accepter que notre nature, à nous, soit de s'intéresser à ce genre de sujet. Et en matière de sexe, les comportements naturels de la plupart des espèces feraient dresser les cheveux sur la tête de la grande majorité des gens (lecture). Et on oublie souvent à quel point les comportements humains sont culturellement variés, et à quel point chaque culture entretient ses préjugés.

L'homosexualité ne se choisit pas, pas plus que l'hétérosexualité ou la préférence pour la tarte à la fraise par rapport à du vomi de chat. Certaines de nos préférences sont innées (génétiques ou épigénétique), ou acquises avant la naissance (par divers mécanismes liés à l'environnement in utero), et nous ne pouvons rien y changer. Et si la nature de l'espèce humaine est d'avoir un certain pourcentage d'homosexualité, nous ne pouvons rien y changer non plus, et les jugements de valeur sont aussi vains et ridicules que ceux des goûts et des couleurs. 

Le mariage célèbre l'amour entre deux personnes libres, adultes et consentantes. Aucun humain au monde n'a le pouvoir, la capacité, de quantifier l'amour ressenti par qui que soit envers qui que ce soit. Les chrétiens de l'ancien temps l'avaient probablement compris, eux qui ont peint des représentations de mariages entre deux hommes à diverses reprises dans des églises renommées, dont un célébré par Jésus lui-même (source). Anecdotique? Peut-être. Ou pas. Ceci aurait-il été volontairement oublié par les religieux actuels?

La capacité à élever des enfants.

Là encore, les seules personnes aptes à juger quoi que ce soit sont celles qui ont, sur le terrain, comparé le développement des enfants adoptés par des couples hétéros et celui des enfants adoptés par des couples homos. De nombreux pays ont depuis longtemps autorisé l'adoption par les couples homosexuels, nous disposons donc d'un certain recul. En conséquence, il commence à y avoir des tas d'études sur ce sujet.

-Celle-ci dit :

"Researchers have not found significant differences between offspring of heterosexual parents and those of lesbian and gay parents in terms of their cognitive, psychological, or emotional adjustment."
Traduction approximative :
"Les chercheurs n'ont trouvé aucune différence significative entre les enfants élevés par des parents hétérosexuels et ceux élevés par des parents homosexuels en terme de développement cognitif, psychologique ou émotionnel."


- Celle-ci , réalisé à l'université de Montpellier, annonce:

"Studies about child development, sexual orientation, gender identity, gender role behavior, emotional/behavioral development, social relationships and cognitive functioning showed no difference between children of lesbian mothers and those of heterosexual parents. Likewise, parental functioning, the mothers' psychological health and maternal skills were not significantly different among lesbian mothers than among heterosexual mothers. In studies concerning gay fathers, findings generally indicate no differences in sexual orientation, socialization, or psychological outcomes in children of gay fathers compared to children of heterosexual fathers. "
Traduction approximative : "Les études sur le développement, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, le rôle comportemental du genre, le développement émotionnel/comportemental, les relations sociales et le fonctionnement cognitif ne montrent aucune différence entre les enfants élevés par des mères lesbiennes et les parents hétérosexuels. De la même manière, le fonctionnement parental, la santé mentale des mères et leurs comportements maternels n'étaient pas différents entre les mères lesbiennes et les mères hétérosexuelles.
Dans les études concernant les pères gay, il n'y a pas de différence concernant l'orientation sexuelle, la socialisation ou la psychologie de leurs enfants comparés avec ceux des enfants élevés par des pères hétérosexuels. Les auteurs disent encore qu'une seule étude a montré que les femmes élevées par des pères gays, avaient tendance à être un peu moins à l'aise dans l'intimité, et à moins volontiers dépendre des autres. Je n'ai pas trouvé l'étude pour regarder les effectifs.

Bref, dans l'ensemble, il n'y a aucune différence, pour des enfants, à être élevé par des parents gay ou non, c'est ce que montre l'état actuel de la recherche. Ce n'est pas la peine de se lancer dans de grandes explications psychologico-catastrophistes comme quoi être élevé par des parents de même sexe empêche de se représenter ses origines, la mise en place du symbolisme de la filiation etc etc, les faits sont LÀ : il n'y a pas de différence de développement entre les enfants adoptés par les couples homos et ceux adoptés par des couples hétéros. Aucun des détracteurs des études réalisées, même si certains sont des grands noms, n'a jusqu'à présent réussi à faire publier son avis dans un journal scientifique, faute de preuves. 

Je me demande combien des manifestants de dimanche avaient lu ces études... Avancer l'argument du bien-être des enfants pour dissuader un couple homo d'en avoir, c'est exactement comme l'avancer pour dissuader un couple hétéro, d'en avoir, mettons parce qu'il est blond : un avis gratuit et idiot, contradictoire avec tout ce que l'on sait, objectivement, des capacités des gens à élever des enfants.

Un autre pseudo-argument est celui du regard des autres sur les enfants de couples homos : tout le monde sait combien l'enfance est un monde cruel, et où l'on a tôt fait d'être stigmatisé. Sauf que ce propos fait justement le lit des discriminations, il les justifierait presque, ou en tous cas les excuse. Ce n'est pas en ayant peur qu'on rendra la société plus maligne (et autant empêcher tous ceux qui ont des noms ridicules, des physiques ou des métiers ou quoi que ce soit sortant de la norme d'avoir des enfants aussi, on sait tous ce que ça donne dans la cour de récré - bon, y aura plus beaucoup d'enfants si on fait ça).

Du coup, la situation semble évidente : la souffrance préjugée des enfants élevés par des couples homos n'a jamais été mise en évidence, mais la souffrance des gens que l'on juge arbitrairement incapable d'élever des enfants, à qui on refuse l'égalité et des droits les plus fondamentaux (dont celui de choisir de ne pas se marier), la souffrance des enfants à qui l'on dénie la reconnaissance de leurs deux parents (puisque pour l'instant un parent homosexuel ne peut faire adopter son enfant par son conjoint, l'enfant sera donc retiré à son deuxième parent si le premier décède), crève les yeux. Qu'est-ce qu'on attend pour y remédier?

En conclusion, aucune raison rationnelle ne peut être avancée pour empêcher le mariage de couples de même sexe, ni leur adoption/conception médicalement assistée d'enfants. Être contre, c'est être dans le subjectif, l'opinion non renseignée, la discussion de comptoir. Et quand on sait la souffrance qu'engendrent la discrimination, quelle qu'elle soit, et l'injustice (oui, ça a échappé à environ 360 000 personnes, mais n'être pas considéré comme l'égal des autres est une injustice extrêmement cuisante), j'ai du mal à comprendre l'énergie dépensée par les militants de dimanche.

Si ils s'étaient renseignés un minimum sur le sujet, ils auraient pu s'épargner de venir, et la honte de voir leur ignorance et leur méchanceté (je n'ai pas d'autre mot pour qualifier une volonté de stigmatiser des gens qui n'ont rien demandé d'autre qu'à être traités en égal des autres) étalées ainsi à la face du monde.

Si, ainsi que l'affirment beaucoup, "il y a des choses plus importantes à traiter d'abord", pas de problème : accordons les droits et passons à autre chose. Effectivement, il y a beaucoup d'autres choses à faire.

À lire :
- Projet 17 mai : plein de bandes dessinées à lire!
- Le blog de Maître Eolas : Du mariage pour tous 1 et 2
- Le Monde : Interview de Maurice Godelier, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, prix de l'Académie française et médaille d'or du CNRS 2001 pour l'ensemble de son œuvre
- C'est la gêne 1
- C'est la gêne 2
- Toujours un truc à dire
- Les cœurs exacerbés

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