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Un monde pourri

Il a deux chansons sur son ordinateur, qu'il n'a pas téléchargées lui-même (c'est son ex-femme qui est l'auteur du délit), et il doit payer 150€ d'amende. Pour deux chansons de Rihanna.

C'EST UNE BLAGUE???

Revenons un chouia en arrière. Hadopi, après avoir été jugé inconstitutionnelle (ben oui, priver une personne de son accès à internet, donc de sa liberté à s'informer et communiquer, sans le moindre procès, ça n'est pas très constitutionnel), a fini par passer à l'assemblée, portée par les godillots UMP, au grand dam du reste de l'hémicycle (et en promettant que "oui oui, y aura des procès, en fait").

Jusqu'à présent, cette fameuse Hadopi avait, de l'avis même de la ministre Aurélie Filippetti, surtout servir à engloutir l'argent du contribuable. Coûtant 12 millions d'euros pour envoyer un million d'emails sans aboutir à la condamnation de qui que ce soit, ça fait cher l'email.

Tout ça pour ralentir le téléchargement illégal, alors même que des dizaines d'études indépendantes et universitaires nous indiquent que si les ventes de bien culturels baissent (et ce n'est pas le cas de toutes les branches), ça n'est très probablement pas la faute au téléchargement (qui les augmenteraient même plutôt), mais à d'autres facteurs - et que ce sont ceux qui téléchargent le plus qui achètent le plus également:

University of Amsterdam - 2010 - Effets économiques et culturels du partage de fichiers

2010/05 - Une nouvelle étude de l'Université d'Amsterdam affirme que le partage illégal de fichiers en haut-débit s'avère beaucoup moins préjudiciable que ce que les ayant droit disent, et qu'il pourrait même être bénéfique pour les ventes de musique, de films et de jeux vidéo.

BBC - 2009 - Les pirates dépensent plus dans la musique (FR)


2009/11/02 Un article de BBC News traite des résultats d'un sondage sur un millier de personnes concernant le piratage. La conclusion est que ceux qui « piratent » le plus sont également ceux qui dépensent le plus, que le prix actuel des morceaux est plus élevé que ce que les consommateurs sont prêts à payer. L'article traite aussi des différents sites de streaming utilisés par les sondés.

IPSOS Allemagne - 2009 - Les "pirates" sont de meilleurs consommateurs de culture "légale" (FR)

2009/09 - Un sondage effectué entre janvier et mars 2009 dans 12 pays auprès de 6500 internautes par IPSOS Allemagne tend à montrer que les internautes français ne sont pas les champions du monde du piratage. Cette étude montre aussi qu'en Allemagne les "pirates" sont de meilleurs consommateurs de culture "légale" par rapport aux internautes allemands ne pratiquant pas le "piratage". Sources: tempsreel.nouvelobs.com 21/09/2009 pcinpact.com 21/09/2009 ecrans.fr 22/09/2009

Frank N. Magid Associates, Inc. - 2009 - P2P / meilleurs consommateurs pour Hollywood (EN)

Un cabinet publie une étude établissant que les utilisateurs de réseaux P2P (Vuze) sont les meilleurs consommateurs pour Hollywood : « Introducing Hollywood's Best Custormers ». Source: Frank N. Magid Associates, Inc. - 02/06/2009.

M@rsouin - 2008 - P2P / achètent le plus de DVD (FR)

Cette note de synthèse réalisée par Môle armoricain de recherche sur la société de l'information et les usages d'internet (M@RSOUIN) présente les principaux résultats d'une enquête sur la consommation de vidéos (plus largement sur la consommation de contenus audiovisuels) sur Internet. On s'attachera ici plus particulièrement à une vision statistique de la consommation de vidéos en ligne. Conclusion des auteurs de l'étude, "Les individus qui téléchargent des vidéos sur les réseaux P2P sont également ceux qui achètent le plus de DVD.".

Business School of Norway - 2009 - Ceux qui échangent de la musique en achètent 10 fois plus (NO)


Cette étude (2009) réalisée par la Business School of Norway montre que les gens qui échangent de la musique en achètent 10 fois plus que ceux qui ne partagent pas gratuitement. Source: Ars Technica - 20/04/09

Gouvernement canadien - 2007 - P2P / achètent plus de musique (FR)

Cette étude de 2007 commissionnée par le gouvernement canadien, démontre que les utilisateurs de logiciels peer-to-peer achètent plus de musique que ceux qui n'échangent pas.

U.S. Government Accountability Office - 2010 - Propriété intellectuelle : les effets économiques de la contrefaçon et du piratage de biens (EN)

Le U.S. Government Accountability Office a publié un rapport en avril 2010, conformément au PRO-IP Act (Loi américaine qui renforce les sanctions sur le téléchargement illégal et de films, musiques, jeux, logiciels, etc. et sur les atteintes à la propriété intellectuelle) de 2008, traitant des impacts de la contrefaçon et du piratage. Ce rapport montre que "des experts et d'autres rapports ont conclu que la contrefaçon et le piratage pouvaient avoir des effets positifs" et que "trois estimations, émanant du gouvernement américain, des pertes économiques résultant de la contrefaçon, ne pouvaient pas être justifiées en raison de l'absence d'études sur le sujet."

Gouvernement néerlandais - 2009 - Téléchargement illégal = Effet positif (NL)

Un nouveau rapport (2009), commissionné par le gouvernement néerlandais, sur les conséquences économiques et culturelles du partage de fichiers sur les industries de la musique, du cinéma et du jeu vidéo conclut que le téléchargement illégal a un effet global positif sur l'économie.

News.com - 2005 - P2P = Ré-équilibrage entre petits et gros acteurs du marché du disque (EN)

Cet article de news.com explique qu'un ré-équilibrage entre petits et gros acteurs du marché du disque serait déjà perceptible, sous l'influence des réseaux peer-to-peer.

D.Blackburn - "Petites" ventes pas affectées par le téléchargement (EN)


Cette tendance semble être confirmée par une étude de 2004 de D.Blackburn, doctorant de Harvard On-line piracy and Recorded Music Sales. Cette étude, bien que ne prenant pas en compte la reprise des ventes de CD aux USA pour l'année 2004 (suite à une légère baisse des prix de vente), est assez précise sur la dynamique des ventes de CD. Un tableau page 32 est assez parlant sur le fait que les 75% plus "petits" artistes des ventes ne seraient absolument pas affectés par le téléchargement, et que seul les 25% les plus vendus en souffriraient potentiellement.

UFC-Que Choisir - 2005 - Impact nul de la copie sur le comportement d'achat (FR)

En outre une étude récente réalisée conjointement par l'UFC et un laboratoire de recherche de l'Université Paris XI , sur Les habitudes de copiage des français, présente des résultats détaillés évocateurs sur l'impact quasiment nul de la copie sur les comportements d'achat.

Harvard Business School - 2004 - Effet du partage sur les ventes de disques (EN)

Ces résultats semblent confirmer cette étude de 2004 de la Harvard Business School, "The effect of file sharing on record sales - An empirical analysis", qui a pourtant été critiquée depuis, car ne comparant que le téléchargement à une semaine donnée aux ventes de CD à cette même semaine. D'autres études sont plus pessimistes : Celle de 2003 effectuée par la FNAC (si quelqu'un a un lien vers l´étude?), basée sur des entretiens avec de nombreux acteurs du secteur de la musique, montre que sur les 15% de baisse du marché français en 2003, le peer-to-peer ne serait responsable que de 2 à 3 points de baisse.

Éric Boorstin - 2004 - P2P = Impact différent selon âge / Raisons baisse des ventes de CD (EN)

La thèse d'économie de Éric Boorstin, de l'université de Princeton, "Music Sales in the Age of File Sharing" pousse très loin le détail de l'analyse économétrique. Elle conclut que le peer to peer aurait un impact négatif sur les achats de CD par les plus jeunes, mais un impact positif sur les achats des plus agés, et que les deux effets cumulés donneraient un effet neutre, sinon positif. E.Boorstin détaille en outre les nombreux chiffres des ventes de disques (intéressant de voir le doublement du chiffre d'affaire entre 1983 et 1993 par exemple, ainsi que les cycles de vie des différents supports) et énonce les diverses causes qui pourraient être à l'origine des baisses des ventes de CD constatées récemment : fin de vie du support CD, dernières cassettes audio vendues, nouveaux usages sociaux, choix artistiques des majors de moins en moins risqués, etc.

OCDE - 2004 - Coût du partage illégal de fichiers difficile à établir (FR)

Un rapport de l'OCDE de Novembre 2004, "Contenus numériques haut débit : la musique", dresse un panorama très complet et chiffré sur l'historique de la filière musicale, l'évolution de ses modèles économiques, la place d'Internet et du peer-to-peer.

«Quoi qu'il en soit, le téléchargement de musique en P2P ne conduit pas tous les utilisateurs à substituer systématiquement ce type d'acquisition aux modes traditionnels de consommation. Il est par conséquent difficile d'établir « le coût du partage illégal de fichiers ». Cette difficulté est reflétée dans les résultats des études sur la question et dans les critiques méthodologiques dont ont pu faire l'objet ces études (faibles taux de réponse, défauts de conception des études, problèmes de définition des modèles pour les travaux empiriques, etc.). Certaines études démontrent que le partage non autorisé de fichiers a un effet négatif sur les ventes de musique, mais d'autres démontrent qu'il a un effet positif ; et d'autres encore concluent qu'il a un impact nul. D'après certains, les utilisateurs substituent le téléchargement à l'achat légal, ce qui réduit les ventes, mais d'autres avancent que le partage de fichiers permet de découvrir certaines musiques avant de les acheter. La plupart des études confirment que ces deux phénomènes opèrent en même temps – selon les utilisateurs : le partage non autorisé de fichiers conduit certains à augmenter leur consommation et d'autres à la réduire.»

Alors il faudrait qu'on m'explique pourquoi ces douze millions n'ont pas plutôt été utilisés à quelque chose d'utile. Plus utile que mettre en place un label "PUR" aux relents néo-nazi et envoyer au tribunal un mec qui n'a même pas téléchargé quoi que ce soit, et aurait été bien en peine de "protéger son ordinateur" contre une personne elle aussi adulte et responsable vivant sous le même toit (qui aurait donc peu aussi bien être son colocataire par exemple). Pour deux chansons en plus, faut arrêter de déconner peut-être, un peu, là, non? Elle a récupéré quoi, Rihanna, de ces 150€? À part le dégoût de toutes les personnes qui verront l'artiste laisser condamner ainsi une personne qui a téléchargé ce qu'elle aurait pu enregistrer à la radio?

Plus j'entends les discours puants des majors et de leur clique, plus je me dis que je regrette, oh je regrette, d'avoir laisser tomber des sous dans leur escarcelle. Consommer (quel vilain mot) de la culture sans payer, pour moi et jusqu'à présent, n'était que le moyen de choisir ce que je voulais vraiment payer. Et j'ai dépensé un max (toutes proportions gardées par rapport au budget à ma disposition). Maintenant, je me dis que chaque téléchargement, c'était déjà trop leur offrir. Trop leur offrir en terme de publicité (parler en bien de ce qu'on a bien aimé, même si on ne l'a pas suffisamment bien aimé pour l'acheter, ou que l'on était vraiment sans le sou). Trop leur offrir en terme de visibilité, d'attention.

Et là, tout le monde hurle "Eh mais les pauvres artistes, hein? Tu y penses aux pauvres artistes?" Ah parce que donc les 150€ sont pour la pauvre Rihanna? L'argent des CD, des livres et des DVD va dans la poche des artistes? Avez-vous déjà eu un contrat avec une maison d'édition? L'artiste est le dernier barreau de l'échelle, la merde à qui l'on donne les miettes, à contre-coeur, en lui expliquant qu'on est déjà bien bon de ne pas le faire payer pour publier son œuvre. Quand on ne le laisse pas simplement mariner des mois et des mois en oubliant complètement qu'il y a quelqu'un, là, au fond de sa baraque, qui aimerait bien payer ses factures. Pour dix visibles en librairie ou dans les bacs, on a dix-mille laissés pour compte qui ne vivront jamais de leur art et sont condamnés à trouver autre chose pour subvenir à leurs besoins.

Alors les artistes, dont je fais partie finalement, vu que j'ai aussi publié des livres et que moi aussi j'aimerais bien qu'ils mettent du beurre dans mes épinards et ceux de ma famille, ce que j'aimerais, c'est qu'ils ne soient plus les derniers maillons de la chaîne. Que le système économique de la culture soit entièrement revu, mis au jour de l'internet, pour que les artistes se débarrassent enfin de ces grosses tiques puantes que sont les majors, qui s'engraissent sur leur dos, montent leur public contre eux, vivent dans le passé et ne pensent qu'à la préservation de leurs intérêts. Comme les moines copistes qui voulaient interdire l'imprimerie.

Désolée. L'intérêt du peuple passe avant. Le droit d'accéder à la culture est fondamental. Le partage de la culture est fondamental. Autant que le droit des artistes à vivre de leurs art, est fondamental. Mais la solution est sous nos yeux. Ceux qui partagent le plus sont aussi (relisez les études citées plus haut) ceux qui sont le plus prêts à payer. Le public n'est pas l'ennemi des artistes, il est leur allié, leur seul véritable et unique allié. L'intérêt de l'artiste est de marcher main dans la main avec son public.

Certains auteurs de BD l'ont bien compris, en mettant leurs œuvres sous forme de blogs, puis en vendant la même chose sur papier avec un succès fulgurant. Trent Reznor l'a bien compris aussi. Son groupe Nine Inch Nails met toujours ses œuvres en téléchargement libre. Il disperse des clefs USB pour que les gens trouvent leur musique dedans et la partagent. Et ils VENDENT. Parce que les gens sont prêts à payer pour de la qualité, de beaux albums, du matériel. Mais pas de l'immatériel dont la production ne coûte rien.

C'est ça l'avenir : de l'immatériel gratuit, échangeable, voire même modifiable, et du matériel de bonne qualité payant. CD, concert, projection cinématographique, livre, DVD, objets et spectacles, payants. Mais musiques, textes et films dématérialisés gratuits. Le public est l'acteur de la diffusion de l’œuvre. C'est grâce à lui qu'elle peut rencontrer la part de public qui est prête à payer.

Mais dans ce modèle, il n'y a plus nécessairement besoin d'intermédiaire entre l'artiste et son public, plus de diffuseur : la plus grande part du travail de diffusion est fait par Internet. Certains artistes se passent même complètement d'éditeur et s'installent à leur compte, comme Radiohead qui s'est mis à vendre ses albums par correspondance (ce qui n'empêche pas les boutiques de les acheter aussi). Et c'est parce qu'elles sentent que leurs artistes-vaches à lait sont en train de leur glisser entre les doigts et qu'il faudrait, pour survivre, qu'elles CHANGENT que les majors entretiennent le mensonge. Qu'elles persistent à nous faire croire qu'internet (et donc nous, le public) met à mort les artistes et qu'il faut d'urgence le supprimer, le transformer en un simple minitel, ou à la rigueur une espèce de nouvelle chaîne de télé faisant plate-forme d'achat. Plus d'artistes indépendants, plus de public acteur. Juste des pigeons consommateurs, la tête dans la mangeoire. Ils pourront continuer à exister sans se remettre en cause. Retour dans le passé.

Il existe pourtant des moyens simples, pour les artistes, de se débarrasser de ce modèle, de forcer les majors à disparaître ou s'adapter, se conformer aux nouvelles nécessités et respecter (utiliser, si elles étaient moins stupides) les libertés de leur public. Des licences leur permettent de protéger leurs œuvres contre les aberrations d'un système moribond qui voudrait tuer toute créativité en dehors des sacro-saintes majors. Les  licences creative commons (permettant par exemple d'autoriser diffusion et téléchargement, donc de profiter de l'effet "pub", sans permettre un usage commercial ni de modifications de l’œuvre originale) et Art Libre leur permettent de protéger leur public contre ces démences. Pour mon travail artistique, ce sont elles que j'ai choisies. Et ça ne m'empêche pas d'avoir un éditeur qui s'occupe de la logistique. Mais il a accepté le nouveau système.

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