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Des filles et des jeux vidéo

Il y a quelques jours, le magazine Joystick s'est fait descendre en flammes pour sa critique du dernier Tomb Raider. L'auteur semble en effet confondre viol et SM, oubliant dans la foulée la notion de consentement, et se retrouvant par voie de conséquence à faire une apologie du viol. Pas besoin de s'étendre sur ce chapitre, tout ce qui est attendu étant les excuses du magazine (il semblerait qu'il y ait eu une tentative).

Par contre, ceci soulève un autre sujet, puisque le scénario du dernier Tomb Raider a été révélé.

Pour ceux qui vivent dans des grottes, Tomb Raider raconte les aventures d'une archéologue-aventurière qui dégomme du méchant et du monstre au cours d'explorations labyrinthiques (je me suis toujours étonnée, au passage, du taux de destruction de reliques et d'espèces en voie de disparition dans les jeux, mais passons... ;-) ) Le nouveau jeu était présenté comme un renouveau, en rupture avec les précédents, le style devenant résolument "réaliste", avec une héroïne plus humaine etc. Quelque chose de très alléchant donc, ouvrant à l'infini les possibilités scénaristiques, et les développements psychologiques pour un personnage de "femme forte" tel que Lara Croft.

Et donc ce serait un "rape and revenge". C'est à dire que l'héroïne, toute jeune, serait capturée, humiliée, violée (ou peu s'en faut) au début, passerait le reste du jeu à se venger. Et... C'est irréaliste. Scénaristiquement pauvre. Décevant (et vu et revu, par ailleurs). On ne pouvait donc rien inventer de plus original pour notre Lara? "Plus humain" signifie donc "traîné dans la boue gémissant et humilié, violé" puis "cherchant la vengeance comme un furieux"? Dans la vraie vie, est-il nécessaire de le rappeler? La victime d'un viol est juste traumatisée, et sa "revanche" consiste juste à essayer de faire de nouveau confiance à un homme... Pas à tous les buter. Ça n'est pas une réaction "humaine". Nous sommes dans une fiction, soit, mais je rappelle qu'on nous parlait justement de "plus de réalisme". On ne saurait mieux viser à côté de la plaque. Psychologie : zéro.

N'y avait-il donc aucun autre moyen de révéler l'humanité du personnage, la mettre en difficulté? Est-ce que pour un "renouveau" d'une ligne de jeux consacrés à Indiana Jones par exemple, autre archéologue aventurier, on aurait visé ce genre de scénar? Non, parce qu'Indie est un homme donc il n'a pas besoin de tomber au plus bas de l'humiliation et de la peur pour révéler sa "force". Il est fort de nature. L'héroïne n'a pas cette chance : de nature, elle est faible et ne doit sa force qu'aux événements extérieurs. Comme le dit Ron Rosenberg:

"En partant de rien, elle devient une héroïne…on la construit petit à petit et juste quand elle prend confiance en elle, on la brise à nouveau. Elle est vraiment transformée en un animal acculé. C’est un grand pas dans son évolution : elle est forcée à se battre ou mourir."

Super évolution en effet que se faire violer pour pouvoir se révéler et être aimée du joueur. Peu d'hommes amateurs de jeux d'actions ont besoin que ce genre de mésaventures arrivent à leur héros pour s'y identifier et le trouver intéressant. Mais dans le cas de Lara, la notion même d'héroïne n'existe plus :

"Quand tu vois [Lara] face à ces obstacles, tu te prends d’affection pour elle, peut-être plus que tu ne te prendrais d’affection pour un personnage masculin…Quand les gens jouent Lara, ils n’ont pas vraiment envie de se projeter eux-mêmes dans le personnage. Ils sont plutôt « J’ai envie de la protéger ». Ça instaure cette dynamique « Je pars à l’aventure avec elle et je vais essayer de la protéger. »"

Ce n'est donc pas le personnage, le héros, comme dans n'importe quel jeu vidéo d'action, mais le joueur. Comme Mario sauve la princesse Peach, le joueur ici sauve et protège son personnage, sans s'y identifier. Et si vous êtes une fille qui voudrait -  manifestement, les devs de Tomb Raideur ne savent même pas que ça existe -  jouer à Tomb Raider? Eh bien, soit vous devez vous identifier à une héroïne pendant qu'elle est violentée et violée (euh... comment dire? Personnellement ce n'est pas ce que j'attends d'un jeu d'action), soit vous devez endosser la veste du paternalisme protecteur voulu par les créateurs du jeu, posant une barrière infranchissable entre l'héroïne et vous... Inutile de dire que ça n'est pas une perspective ultra-réjouissante non plus.

Les filles seraient-elles complètement oubliées? D'autant que dans les précédents opus, nous pouvions jouer la carte de l'identification sans problème (comme nous le faisons avec des personnages masculins aussi, du reste). Et on ne me fera pas croire que les hommes ne s'identifiaient jamais à la Lara des précédents opus. Ni que les hommes sont incapables d'aimer des femmes fortes qui n'ont pas été complètement brisées pour les rendre ultra-vulnérables. Les femmes ne seraient attachantes, dignes d'êtres aimées, que par leur vulnérabilité? Je serais un homme, c'est moi qui me sentirais humilié que les devs aient ce genre de pensées...

Tomb Raider est un jeu d'action. On ne demande pas au joueur de God of War de vouloir "protéger" le violent Kratos. Il se glisse dedans et c'est cool de se sentir super fort quelques heures, point barre. Pourquoi ne peut-on pas nous proposer la même force en version féminine? Je ne parle pas forcément de la force physique de Kratos, il y a des millions de façons d'être fort. Une Lara à la rescousse d'un personnage masculin, ou cherchant à venger un ami mort (pour reprendre le pitch de God of War, en plus simple - même si personnellement je ne suis pas fan des histoires de vengeance, à la fois pauvres et vues et revues), travailler ses relations avec d'autres personnages, développer sa psychologie, la rendre attachante par ses attachements, était-ce impossible à concevoir?

Bien entendu qu'il est enrichissant et même nécessaire, d'un point de vue scénaristique, que le héros traverse des périodes de difficulté, de vulnérabilité, de doute, de souffrance... Mais "souffrance" ne signifie pas "humiliation" : quand un autre héros d'action, James Bond par exemple, se fait frapper presque à mort, il n'est jamais humilié dans l’œil du spectateur qui peut continuer à s'identifier à un personnage qui résiste jusqu'au bout sans se briser, justement. La dynamique est différente. Et surtout, ce passage à tabac n'est pas le moteur de l'histoire, ni celui des actions du héros. Il y a des millions de façons de placer un héros en difficulté, autres qu'un simple, humiliant et irréaliste "rape and revenge", qui de surcroît rend difficile toute identification.

Les filles représentent la moitié de la population, pourquoi sont-elle à peu près systématiquement oubliées? Parce qu'elles ne s’intéressent pas aux jeux vidéos d'action? Elles aimaient Tomb Raider. On verra le jeu en lui-même, encore en développement, mais si il est conforme à la description donnée par Ron Rosenberg... ça risque de ne pas continuer.

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