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Animal instinct

"De toutes façons, vous êtes étranger. Vous passerez toujours en dernier pour avoir un appartement." (parole de l'employé de régie de location) "Non mais attend, c'est normal que les entreprises fassent du tri au recrutement et refusent les étrangers, sinon qui le ferait?" "Je viens de finir mes études, j'ai reçu une lettre, je dois quitter le pays dans une semaine."

Moralité : la Suisse (oui, toutes les citations ci-dessus ont été entendues en Suisse, par moi ou des connaissances directes), c'est bien. En France, on n'attend même pas que les étudiants aient fini les études pour lesquelles ils sont venus pour les mettre à la porte, comme l'explique cet extrait (un peu long, soit) du blog de Pascal Maillard, chercheur en littérature :


Une politique inique et absurde terrorise aujourd’hui des milliers d’étudiants étrangers inscrits régulièrement dans nos universités et dans l’ensemble de nos établissements d’enseignement supérieur. A l’approche de l’élection présidentielle, le gouvernement  aurait-il décidé d’en faire les otages de sa dérive idéologique ?<--break->

Une fois de plus l’Etat-Sarkozy nous met face à l’inadmissible. Les faits sont là. Ils sont dramatiques et nous rappellent aux événements du sombre été 2010. La circulaire Guéant du 31 mai 2011 et le zèle des préfets à l’appliquer sans discernement sèment la peur sur les campus universitaires. Le décret du 6 septembre 2011 augmente de 35% les ressources mensuelles minimales pour obtenir un titre de séjour (de 460 à 620 euros : voir ici). Les titres de séjour qui arrivent à terme en milieu d’année ne sont pas renouvelés, contraignant les étudiants à interrompre leur cursus, à retourner dans leurs pays ou à entrer dans la clandestinité. Les services préfectoraux mettent en place une véritable course d’obstacle au renouvellement des titres de séjour. Ils ne renseignent même plus les étudiants étrangers sur leurs droits et multiplient les obligations de quitter le territoire français (OQTF). De toutes nationalités, venus du monde entier, des étudiants se terrent dans les cités universitaires, s’y font parfois arrêter, ou sont cachés par des amis, parfois par des membres d’associations humanitaires et de défense des droits de l’homme. D’autres, de plus en plus nombreux, envisagent de quitter la France et disent, entre dégoût et amertume, rechercher un autre pays où ils pourront terminer leurs études dans des conditions d’accueil plus respectueuses des droits. Il ne s’agit plus seulement, comme le disent certains, d’un gâchis humain ou d’une absurdité économique, mais bien d’un désastre humanitaire, invisible, sournois, dont on voudrait taire le nom, et dont l’Etat est directement responsable. Ce désastre se passe ici, en France, un pays qui fut jadis celui des Droits de l’Homme, et qui est devenu au fil des années celui de leur négation. (source : chasse aux étudiants, la barbarie d'un état, je conseille la lecture complète)

Objectivement, naître du bon côté de la frontière, c'est comme naître avec un certain groupe sanguin, ou une certaine couleur d'yeux, juste un coup de pot. Pas de mérite, pas de raison d'être fier de quoi que ce soit, c'est juste un hasard. Pour quelle raison objective, donc,  pourrait-on considérer qu'il soit légitime que ce statut donne droit à un quelconque privilège? À moins de considérer légitime que le groupe sanguin, par exemple, permette aussi d'en avoir, des privilèges. "Je suis B-, j'ai le droit d'avoir un appartement avant les A+. C'est cool, hein? C'est ça la préférence sanguinale."

J'avais bêtement appris, il y a quelques années, que "les hommes naissent libres et égaux EN DROIT." Nulle part, dans cette phrase, n'est spécifié que certains sont plus égaux que d'autres parce qu'ils sont nés d'un certain côté de la frontière, pas plus que pour leur couleur de peau ou leur façon ancestrale de cuisiner la blanquette de veau. Se faire dépouiller de cette égalité par la phrase assassine d'un employeur ou d'un employé d'agence de location, c'est déjà une forme de violence, qui donne un profond sentiment d'impuissance face à l'injustice crasse. Et il n'est question que d'une différence minime, France/Suisse. Et de moi, qui ne suis pas créature la plus violent qui soit, et à qui ce genre de comportement donne déjà des envies de cassage de nez. Quelles formes, quelle fréquence peut encore prendre ce rejet quand la différence culturelle se creuse? Dans quels abîmes de détresse peut-on être plongé, juste en ce heurtant à ce mur?

Alors soit, l'animal humain, ce singe qui n'aime rien tant que s'auto-persuader qu'il est au dessus des autres, est un animal grégaire et social. Il a développé l'altruisme comme stratégie de survie au fil de ses millions d'années d'évolution. Mais qui dit altruisme dit interaction exclusive avec la famille proche ou réciprocité. Et dans le cas de la réciprocité, celui qui décide subitement de prendre sans rien donner, le tricheur, gagne un grand avantage. L'altruisme réciproque ne peut donc évoluer qu'en association avec des mécanismes de détection des tricheurs, de mise à l'épreuve de la bonne volonté des inconnus. Et là, on avance (de façon très très simplifiée, mais la littérature est tellement abondante sur le sujet qu'il suffit de chercher un peu pour creuser) vers une explication de la méfiance à l'égard de l'étranger, celui qui n'est pas comme le groupe social que l'on a l'habitude de fréquenter (la définition de l'étranger est par conséquent purement arbitraire : langue, couleur du passeport, couleur des vêtements, façon de dire bonjour, ce qu'on voudra).

Mais quand même, avec nos milliers d'années de philosophie, de culture, d'avancées dans la connaissance, ça ne serait pas un minimum que d'arriver à voir juste un chouia plus loin que le bout de nos chromosomes, maintenant? Quand on demande à n'importe qui la différence entre l'homme et les autres animaux, il y a 90% de chances qu'il réponde : "les animaux obéissent à leurs instincts, leurs gènes, l'homme n'a pas d'instincts, parce qu'il a développé la culture." Non seulement c'est une monumentale bêtise, mais c'est une fable néfaste qui empêche de regarder un bon nombre de nos comportements pour ce qu'ils sont : fort peu réfléchis, très instinctifs, comme ceux de la première fourmi venue.

Ceux qui ont écrit les droits de l'homme ont vu un peu au delà. Mais ils ne peuvent pas grand chose contre des millions d'années d'évolution qui ont sélectionné un durcissement des mécanismes de "détection des tricheurs" en temps difficiles. Mécanismes qui entraînent dans leur sillage montée de la xénophobie, durcissement des religions... Et nous conduisent, à l'extrême, à des massacres insensés et arbitraires. La crise sert l'extrême-droite, les extrémistes religieux trouvent des oreilles plus attentives, et les droit-de-l'hommistes qui s'insurgent des discriminations passent pour des illuminés. C'est cher payé l'arrogance d'ignorer nos instincts, et en conséquence le refus de se raisonner et un peu lutter contre.

En attendant, il nous faudra encore subir les discours insupportables de Marine Lepen, les phrases assassines de l'administration, des gens, de tous ceux qui sont incapables de comprendre que l'Autre, c'est Nous.

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