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La traversée du désert

Je ne me suis jamais réellement considérée comme "militante", même si je recule rarement devant un débat pour défendre les idées qui me sont chères. Quitte à, parfois, me retrouver embringuée dans des discussions plus ou moins stériles avec des trolls. Mon idée, c'est que même si on ne convainc jamais son interlocuteur, tant qu'il y a des lecteurs, ça vaut le coup, pour eux. Simplement parce que je ne compte pas le nombre de sujet où je me suis fait mon opinion en lisant des discussions sans intervenir, juste par les explications d'un intervenant face à un autre, même si l'autre est un troll manifeste. Enfin, ça c'est sur le net. Dans la vraie vie, c'est beaucoup plus dur d'exposer toutes ses idées clairement. Il n'y a pas de bouton "édit", et on ne peut pas courir après l'autre pour lui dire "hé, tu te souviens de ce que tu m'as dit il y a cinq minutes/cinq heures/cinq ans? Eh ben voilà ce que j'en pense..."

Du coup, je me fais régulièrement avoir, surprendre par des discussion. On vit tous ce genre de situation où l'on est tranquille, bien avec des potes, quand tout à coup quelqu'un lance une bombe. "L'astrologie, c'est super, j'y crois à fond, d'ailleurs, t'es quel signe?", "Moi, je me soigne qu'à l'homéopathie, c'est le seul truc qui marche.", "Tfaçons, les dinosaures, on a pas de preuve que ça a vraiment existé, et l'évolution je comprends pas comment c'est possible que ça soit encore enseigné à l'école.", "Moi, je vais voter LePen, y en a marre de tous ces cons." Généralement, là, je bredouille, je m'énerve et je lutte pour sortir une phrase dans l'ordre "sujet verbe complément" sans m'y reprendre à trois fois. Surtout si les gens en question sont des proches. Mais finalement, si c'est ponctuel, ça n'a pas vraiment d'importance.

Non, là où c'est pénible, c'est quand on se rend compte que les gens qui partagent nos idées sont minoritaires, et que dans 80% des cas, il va falloir lutter. On ne rencontre pas un créationniste à tous les coins de labo. Par contre, des gogos convaincus par l'homéopathie, c'est déjà plus fréquent. Et des gens persuadés que quand on n'arrive pas à trouver du boulot, qu'on ne bénéficie que de l'aide sociale ou du chômage, on "profite", il y en a encore davantage (sujet qui revient particulièrement en période électorale). "Non mais regarde, ils vivent à huit dans un deux-pièce, uniquement avec les revenus des allocations, tu te rends compte comme ils profitent? Alors que nous, sans enfants, on doit le payer, notre trois-pièces! (et nos vacances, ndm)" (souvenir datant d'avant l'élection de Sarko Premier). C'est pénible en temps normal (c'est toujours pénible de passer pour un plouc idéaliste). Quand on est, ou a été, dans cette situation, c'est juste insupportable. Je passerais sur la mesquinerie d'un sentiment de jalousie à l'égard de gens qui reçoivent simplement de quoi se nourrir, se loger et se vêtir (je suppose qu'il y a encore des nostalgiques de l'époque bénie où les pauvres déambulaient en haillons dans les rues avec leur marmaille), pour m'attarder davantage sur la notion de travail. Dans nos sociétés, il sert à gagner sa vie. Je partage avec quelques-uns (très peu, je vous rassure), l'idée qu'il devrait servir à gagner de l'argent, et que nous produisons assez de richesses pour être à même de permettre à chacun de vivre, en faisant un effort de répartition plus équitable.

L'idée du "revenu de vie" ou d'une "allocation universelle", permettant de subvenir à ses besoins vitaux (se nourrir, se loger, se soigner, se vêtir, s'éduquer, accéder un minimum à la culture...) n'est pas nouvelle, et malgré sa senteur un peu communiste, n'est pas particulièrement colorée politiquement. Son premier avantage est de rémunérer le travail qui, de nos jours, est considéré comme bénévole ou indigne de rémunération : prendre soin de soi et des autres, de ses enfants, de ses proches. Les personnes au foyer, qui s'occupent de leurs enfants, n'auraient ainsi plus l'impression de dépendre de leur conjoint, ni de "vivre à ses crochets". Seraient également rémunérés les travaux bénévoles de participation au bien commun: développement de projets artistiques, éducatifs, logiciels libres, développement de la connaissance, de la culture etc. Plus d'artiste ou d'étudiant fauché obligé de travailler au mcdo pour financer ses premières œuvres ou années d'études.

Et si des gens veulent ne rien faire et juste profiter de la vie? Déjà, c'est assez difficile de ne jamais rien faire pour les autres, ne rien partager, ne prendre soin de personne, ne jamais rien construire, n'avoir aucune activité susceptible d'être bénéfique pour quelqu'un. Ensuite... Et alors? Dans une fourmilière, un tiers des individus peuvent ne rien faire, lors du fonctionnement normal de la fourmilière. Vue la quantité de nourriture et de richesse que l'on gaspille en permanence, nous pouvons sans doute entretenir quelques "inactifs" sans que cela nuise à qui que ce soit (d'ailleurs, paradoxalement, beaucoup trouvent normal que certains, ayant par exemple hérité d'une fortune, passent une vie d'"inactifs"). Le reste est probablement une affaire de culture et d'éducation.

Mais ce genre de considération restera à jamais lettre morte tant que nous considérerons que la consommation et l'argent sont les valeurs fondamentales de nos vies. Vue la tournure des événements (notamment Acta qui va transformer Internet, dernier espace de libre partage et de création en simple plate-forme d'achat), si ne n'est pas le cas, il faut se préparer à traverser le désert.

PS : il y a un appel pour le revenu de vie qui circule, comme il est en licence art libre, je peux le reproduire ici dans son intégralité :

Au delà des clivages sociaux, des corporations, des écoles de pensée, nous, signataires du présent appel, voulons contribuer à provoquer dès maintenant une transformation réaliste et constructive de la société : celle du revenu de vie.

Qu’est-ce que le revenu de vie?

L’idée est soutenue de longue date par de nombreuses personnalités, de tous horizons politiques, de toutes confessions et de toutes nationalités. Elle est connue sous des appellations diverses : allocation universelle, revenu d’existence, revenu citoyen, revenu universel, revenu social garanti, dividende universel, revenu de base, etc. (cf. Wikipedia)

Le revenu de vie ne doit pas être confondu avec le RMI, le RSA et autres allocations attribuées de manière conditionnelle. Le revenu de vie, lui, est automatique, inconditionnel et inaliénable. Il concerne tout le monde, riches ou pauvres. Il est attribué à chaque individu, de la naissance à la mort. Son montant est suffisant pour garantir à chacun une existence décente – quoi qu’il arrive -. Il est cumulable avec les autres revenus (salariés ou non). Il ne peut être saisi aux plus modestes, mais il entre dans l’assiette d’imposition des plus aisés.

Le revenu de vie ne rémunère pas l’emploi, mais le travail au sens large

Ni l’emploi salarié, ni les revenus du capital, ni les aides sociales classiques ne peuvent prétendre désormais garantir le droit à l’existence de chacun tel que défini à l’article III de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. C’est un fait : en raison de l’informatisation et de l’automatisation de la production, le plein-emploi ne peut plus être atteint. Par contre le travail est toujours d’actualité, et sa tâche est immense.

Il est plus que jamais nécessaire que chacun puisse travailler, d’abord à prendre soin de lui-même, de ses parents, de ses enfants et de ses proches, travailler ensuite pour contribuer aux biens communs accessibles à tous (connaissances, arts, culture, logiciels, etc.), travailler enfin à inventer et à mettre en oeuvre à toutes les échelles les moyens qui permettront de léguer une planète vivable aux générations futures.

Loin d’être un encouragement à la paresse, nous affirmons que le revenu de vie permettra à chacun, dans la mesure de ses capacités et de son désir, de s’engager de manière sereine, libre et responsable, dans des travaux essentiels pour l’intérêt général que les emplois traditionnels n’ont pas vocation à assumer.

Comment financer le revenu de vie ?

Il s’agit précisément d’engager pour le financement du revenu de vie tous les moyens alloués à l’entretien de la chimère du plein emploi. L’institution du revenu de vie implique pour les pays qui le mettront en place de revoir leur système fiscal et social, et probablement de reprendre un certain niveau de contrôle sur la création monétaire qu’ils avaient abandonné aux banques. Les calculs des économistes qui ont réfléchi en profondeur à cette question montrent que cela est parfaitement possible (cf. simulations).

Il n’est nul besoin d’attendre quelque cataclysme pour envisager cette profonde transformation. Cela peut se faire progressivement et sans dommage, à condition qu’il existe une prise de conscience et un engagement suffisamment massif. C’est à cet engagement que nous, signataires de cet appel, voulons amener.

Qu’avons-nous à perdre ?

L’illusion d’un emploi salarié et dûment rémunéré pour tous s’est volatilisé avec la crise. Avec cette disparition, va s’évanouir aussi pour beaucoup le réflexe de se définir en fonction de son activité professionnelle. Il ne faut pas le cacher, l’institution du revenu de vie amènera probablement à s’interroger plus encore, sur notre identité, notre rôle dans la société, notre aspiration à procréer en regard des problèmes de démographie, et sur la nature de ce que nous voulons transmettre à nos enfants.

L’institution du revenu de vie ne va pas sans mises en cause profondes de nombreuses habitudes. Nous pensons néanmoins que cette mutation des consciences et des comportements peut s’effectuer sans violence, et dans un esprit d’entr’aide mutuelle afin que se développe une nouvelle culture de la responsabilité.

Qu’avons-nous à gagner ?

L’institution du revenu de vie remet en cause le “travail” tel qu’il est compris usuellement, à savoir comme base du capital et des rapports sociaux. On le sait, la réduction du “travail” au seul “emploi” provoque automatiquement l’exclusion de ceux qui en sont privés, la peur du chômage chez les salariés, et le contrôle social des assistés. Cette confusion entre “travail” et “emploi” a un coût énorme pour la société aussi bien financièrement que socialement. Les pathologies sociales et psychiques qu’elle entraîne ne sont tout simplement plus soutenables.

Nous n’attendons pas du revenu de vie qu’il règle tous les maux, mais nous affirmons qu’il est absolument nécessaire pour surmonter la crise de confiance actuelle en réduisant le niveau intolérable, de pauvreté, d’exclusion et de peur.

Action

Au moment où les médias annoncent quotidiennement l’imminence de catastrophes provoquées par l’effondrement des économies, le réchauffement climatique ou les pandémies, nous affirmons qu’il existe un moyen efficace pour faire face collectivement et pour mobiliser les forces vives: c’est la voie du revenu de vie.

Nous citoyens signataires de cet appel, demandons, aux politiques de tous bords, aux syndicats et aux experts, en France et partout dans le monde, de prendre en compte cette voie dans les délais les plus brefs et d’engager avec nous cette grande transformation.


Commentaires

1. Le samedi, 3 mars 2012, 17:53 par Bruno

Sentiment partagé, c'est toujours plus difficile d'argumenter en situation réelle que sur un forum. C'est même parfois rageant de ne pas trouver les mots alors que l'on sait parfaitement ce que l'on aimerait leur dire, à ces trolls de bas étage.
Mais sois-dit en passant si j'entends quelqu'un balancer quelque chose aussi gratuitement, non seulement il ne fait pas preuve d'ouverture d'esprit, mais il ne vaut sûrement pas la peine d'entrer dans une conversation/débat sur le sujet avec lui, soit parce qu'il a tellement peu de connaissances sur le sujet pour que la conversation apporte quelque chose, soit parce qu'il est tellement borné que le faire changer d'avis serait un vrai miracle.
Souvent, je dis aux gens de se renseigner un peu avant d'avancer telle ou telle chose (la violence dans les jeux-vidéos, l'art abstrait etc..) mais là malheureusement, y'a plus personne. Le réel problème c'est que les gens n'ont pas de pensée critique, il préfère s'asseoir devant leur télé, leur journal, ou se ranger derrière ce que les gens leur disent sans chercher à comprendre.

J'avais jamais entendu parler de ce "revenu de vie", intéressant. Je pense qu'il y a beaucoup à gagner. Soit-dit en passant, j'avais entendu Marine LePen mentionner quelque chose de semblable dans un interview à la différence qu'il s'agissait d'un revenu pour les femmes au foyer. C'est pas vraiment la même chose, mais ça s'en rapproche.

A bientôt !

2. Le samedi, 3 mars 2012, 19:07 par Aquilegia

Merci pour ton commentaire. :)

Ça serait plus intéressant que ce soit un autre parti politique que le FN qui propose quelque chose comme le revenu de vie (ce qu'ils n'ont pas fait, comme tu le fais remarquer, puisqu'il ne s'agit pas de financer une seule catégorie de la population, mais toutes, y compris ceux qui ont d'autres sources de revenus)... Il ne suffira pas de quelques idées pour intéressantes rendre un tel parti acceptable de mon point de vue (enfin, le vote pour un tel parti), vu le reste de son idéologie.

3. Le samedi, 3 mars 2012, 20:30 par Bruno

Pas de quoi.

Ainsi soit-il : http://www.cyberpresse.ca/internati...

Dominique de Villepin l'a intégré dans son programme.

Oui, le FN c'est un peu comme l'UDC ici en Suisse, c'est toujours un peu délicat comme parti. Personnellement, je préfère me concentrer sur que le parti propose plutôt que son idéologie.

4. Le samedi, 3 mars 2012, 23:18 par Aquilegia

Villepin n'a pas intégré le revenu de vie tel que je l'ai décrit. Là, ce qu'il propose, c'est grosso-modo une augmentation du "revenu de solidarité", l'équivalent du RI suisse (le "revenu de vie", dans son principe, doit être donné à tout un chacun, même ceux qui gagnent beaucoup... qui par contre seraient taxés davantage en compensation). Et même dans ses rangs on lui reproche de faire "de l'assistanat". Les mentalités ne sont pas prêtes à changer.
Le principe de "revenu de vie" demande une réforme complète de notre façon de concevoir la notion de travail, un renversement de notre façon de voir les choses. Mais même si un parti le proposait réellement, ça ne serait pas, amha, suffisant en soi pour décider de voter, chaque programme nécessite d'être examiné dans sa globalité.

Je n'ai jamais considéré le FN ou l'UDC comme "un peu délicats", simplement très dangereux. Je ne vais pas faire de comparaisons avec une élection tragique de l'histoire précipitée par un contexte de crise économique, on me décernerait un point Godwin. Mais il y a des leçons à retenir. ;-)

L'idéologie du parti indique ce qu'il va faire s'il arrive au pouvoir, au delà de ses promesses et de ses potentielles tentatives de noyer le poisson pendant les débats. L'oublier, c'est très risqué.

5. Le lundi, 5 mars 2012, 15:22 par Bruno

D'accord, je vois. J'ai pas su faire la différence. Je suis tombé sur cet article par hasard après avoir lu l'article Wiki que tu as mis en lien.

Très dangereux ? Non quand même ^^. Avoir un parti d'extrême-droite (ou de d'extrême-gauche, d'ailleurs ces termes sont plutôt péjoratifs..) au pouvoir ne veut pas forcément dire que l'Histoire peut ou va se reproduire. C'est un syllogisme facile, je trouve.
Enfin ce que je veux dire, ce n'est pas parce que le chien nous a mordu qu'il faut l'attacher dehors et le laisser pour compte, sous prétexte qu'on a compris la leçon.

6. Le lundi, 5 mars 2012, 17:57 par Aquilegia

Euh, le chien qui mord, (à plus forte raison le chien qui tue), on le pique, non?

Bon, blague à part, je ne remets pas en cause l'existence de ces partis (je déplore simplement qu'ils soient écoutés), dans le sens où je respecte la démocratie. Ils ont autant le droit de s'exprimer que leurs détracteurs.

Mais au "je ne suis pas d'accord avec vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer", j'ajouterai : "et ne jamais les appliquer". Effectivement, je considère que voter pour eux, ou les soutenir, c'est prendre le risque que l'histoire se répète.
Même dans les pays qui n'ont pas un gouvernement d'extrême-droite, la discrimination et l'intolérance sont déjà une violence qu'il faut peut-être avoir un peu vécue, ou simplement écoutée, pour en mesurer l'ampleur et les conséquences à l'échelle humaine. Bref, pour moi, se laisser séduire par l'extrême-droite, c'est de l’inconscience ou de l'ignorance.

Donc oui, je maintiens et souligne mon "très dangereux". Tu as le droit de ne pas être d'accord, dans ce cas let's agree to disagree.

7. Le lundi, 5 mars 2012, 19:14 par Bruno

D'accord, let's agree to disagree. :)

Pour ma comparaison avec le chien, non je sous-entendais pas qu'il tue, simplement qu'il mord de temps en temps. Sinon oui, là on le pique, c'est sûr !

Thx pour la discussion. Bonne semaine à toi !

8. Le lundi, 5 mars 2012, 22:50 par Aquilegia

Pas besoin de sous-entendre que les idées d'extrême-droite, basées sur la xénophobie, ont tué en masse, c'est un fait historique. Je ne te savais pas négationniste.
@+

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