5.1 Déterminisme et libre arbitre
p.1Les découvertes scientifiques ont, au cours des derniers siècles, bouleversé notre conception du monde. La Terre, de centre de l’univers, est devenue une planète parmi d’autres.
p.2L’homme, de « maître naturel de la Terre », est devenu un animal parmi d’autres. Il est maintenant impossible, si l’on admet les apports des sciences, de considérer le monde comme une création à notre intention, un grand jardin d’enfant. Nous sommes obligés de voir la réalité : le monde ne nous appartient pas plus qu’aux autres êtres vivants.
p.3Pire : non seulement nous sommes des animaux parmi d’autres, mais en plus nous ne sommes que des « avatars », des « sacs » destinés à la seule reproduction de nos gènes ! Qu’en est-il de notre responsabilité dans ce monde, du sens de notre vie ? Eh bien, plus que jamais, c’est à nous de le décider.
p.4Nous autres, être vivants, sommes déterminés par deux ensembles de facteurs. « L’histoire de l’espèce », ou les gènes, modelés par des millions d’années d’évolution, et notre « histoire individuelle », c’est à dire notre environnement. Où se situe notre liberté dans tout cela ?
p.5Beaucoup de personnes sont révulsées à l’idée que leurs comportements puissent avoir une origine génétique. Pourtant, il faut regarder les choses en face : nos comportements, nos pensées, trouvent leur origine dans notre cerveau. Il suffit de constater l’impact de certaines maladies (ou substances !) sur notre raison pour en avoir la preuve.
p.6La structure du cerveau est déterminée, à la base, par nos gènes. Mais... le cerveau est aussi très plastique. Il est capable de se réparer, dans une certaine mesure... Et surtout, il est capable d’apprendre, c’est à dire de s’adapter, de répondre à l’environnement, non pas d’une génération à l’autre, mais au cours d’une seule vie !
p.7Oh ce n’est pas unique chez les animaux. Pratiquement tout le monde dans ce groupe est capable d’apprendre, même les mouches ou les petits vers. Cette capacité d’apprentissage, d’où vient-elle ? De nos gènes. Ce sont eux qui codent pour la plasticité de notre cerveau, sa flexibilité, et qui nous donnent ainsi nos capacités d’innovation et d’adaptation. Vu sous cet angles, nos gènes codent pour un certain libre arbitre. Nous ne sommes donc pas uniquement tributaires de notre environnement... C’est plutôt rassurant, non ?
p.8Cependant... Attention, certains de nos comportements sont peut-être moins plastiques que d’autres... L’important serait alors de connaître les limites de notre plasticité, non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant qu’espèce. Comment le savoir ? En les étudiant, ce que font notamment les spécialistes d’écologie comportementale. Prendre conscience de ses limites, c’est le seul espoir de pouvoir, si besoin, les repousser.
5.2 Et notre responsabilité, alors ?
p.9Vous sentez vous moins responsables maintenant qu’avant d’avoir lu ce texte ? Aimez vous moins vos proches et vos enfants ? J’espère bien que non ! Savoir que la sensation sucrée du gâteau dans ma bouche n’est qu’un interprétation de mon cerveau n’a jamais diminué mon plaisir de savourer un dessert...
p.10Notre responsabilité... Eh bien, elle n’a pas changé, c’est toujours à nous d’en décider !
a. Et la morale ?
p.11Ah la morale...
Tout le monde en a une, mais c’est rarement la même que celle du
voisin. Cette façon que nous avons, nous les humains, de vouloir à tout
prix former des groupes unis par une même morale a sans doute même une
certaine origine génétique. Il est possible même que cette morale soit
un des piliers de notre capacité à former des groupes qui ne soient pas
uniquement familiaux... Et si l’on considère que les individus appartenant aux groupes sociaux
les mieux unis sont les plus aptes à survivre quand les conditions
deviennent difficiles (famines, par exemple, car l’entraide peut
favoriser la survie)... on peut comprendre comment la capacité à
élaborer une morale pourrait avoir été sélectionnée.
p.12Disons que nous
avons tendance à élaborer une morale... Mais que son contenu demeure
libre, du moment qu’elle permet aux individus de former des groupes
sociaux. De la même manière, nous avons des capacités d’apprentissage,
mais ce que nous apprenons dépend de notre culture et de notre histoire
personnelle.
b. Et la religion ?
p.13Personne ne
pourra jamais démontrer l’existence ou l’absence de Dieu. D’ailleurs,
la science n’a pas pour objet de s’occuper de cette question.
p.14Par contre, il
n’y a pas eu besoin d’attendre Darwin pour comprendre qu’interpréter la
Bible ou n’importe quelle « histoire du Monde » religieuse au pied de la
lettre n’était peut-être pas très pertinent si l’on voulait comprendre le monde tel qu’il est... Ce qui ne retire rien
à la portée philosophique de ces textes, bien entendu.
p.15Cela n’empêche
aucunement bon nombre de spécialistes de la biologie évolutive d’être
croyants. Ils ne
mélangent simplement pas leur science avec leurs croyances.
p.16Mais l’étude de
l’évolution apporte bien d’autres choses, dans le domaine des
religions. Elle permet d’étudier les comportements religieux d’un œil
nouveau... Et si la tendance naturelle des humains à former des groupes
religieux, unis par des rituels plus ou moins coûteux pour les
individus, mais les rendant solidaires dans l’adversité (cette solidarité pouvant
justement être mise à l’épreuve par le coût des rituels), avait une
base génétique ?
5.3 Nous sommes fabriqués par nos gènes pour les reproduire ? Merci bien !
p.17Nous pouvons fermer les yeux, et faire comme si nous n’avions rien vu, et continuer à nous considérer de purs esprits dans une prison de chair.
p.18Nous pouvons aussi apprendre à nous connaître, à nous comprendre, et à nous accepter. Cet angle de vue ne rend pas nos poésies moins belles, nos jeux de mots moins drôles, ni nos fusées moins puissantes. Par contre, il peut nous aider à bien des égards.
p.19Si nos gènes contribuent à la détermination de certains de nos comportements, modelés par des millions d’années d’évolution, nous pouvons en prendre conscience pour, enfin, essayer d’agir en connaissance de cause, et non plus simplement subir nos propres petits travers, nos colères instinctives et nos méfiances irraisonnées.
p.20Nous pouvons analyser nos comportements, et ceux de nos contemporains, avec un œil nouveau. Nous pouvons aussi les relativiser, et peut-être, en intégrant les apports cumulés de l’évolution, la psychologie et la neurobiologie, enfin les comprendre, afin de nous approcher de l’adage de Socrate : « Connais-toi toi-même ».