"Pour aller plus loin"

Peut-on prévoir les résultats d'un croisement?
Tout à fait, à condition bien sûr que le caractère que l'on étudie soit génétiquement transmissible. C'est d'ailleurs une des bases de la génétique, initiée par le moine Mendel. Chaque parent transmet, via ses gamètes, un de ses allèles à son descendant. Chaque allèle a donc une chance sur deux d'être transmis.
Si l'on sait quels allèles possèdent les parents, on peut prévoir ceux des descendants, en terme de probabilités. Inversement, voir les allèles d'une descendance permet de déduire le génotype des parents (quels allèles ils possèdent).
Prenons un exemple simple : celui de deux couleurs d'yeux, bleu et marron. Ces couleurs sont dues à la mélanine, pigment marron foncé, qui, dans un cas, sera présente dans les couches profondes de l'iris seulement (oeil bleu), et dans l'autre, jusqu'en surface (oeil marron). 
La mélanine est fabriquée en plusieurs étapes. Une première molécule est synthétisée, puis intervient ensuite une enzyme qui transformera cette première molécule en une deuxième, par réaction chimique. Plusieurs autres enzymes interviennent, jusqu'à ce que la mélanine, produit final, soit produite.
mélanine

Les enzymes sont codées chacune par un gène précis.

Mais la mélanine n'est pas forcément produite directement là où elle est exposée : elle peut aussi avoir besoin de migrer, ce qui est permis par d'autres molécules, elles-mêmes fabriquées par d'autres enzymes. Ça devient compliqué, des tas d'enzymes différentes fonctionnent ensemble!

Or, chez un individu aux yeux bleus, la mélanine n'est pas produite/amenée dans les couches superficielles de l'iris, car une des enzymes, de synthèse (comme chez les albinos) ou de transport, ne fonctionne pas, ou est absente. Cependant, généralement, si un individu possède un allèle qui permet la fabrication de cette enzyme, et aussi un allèle qui ne le permet pas (hétérozygote, donc), il pourra quand même avoir des yeux marrons, puisque un allèle suffit à fabriquer l'enzyme.

Imaginons un couple de parents aux yeux marrons, hétérozygotes (un allèle fonctionnel, et pas l'autre). Ils auront chacun une chance sur deux de transmettre à leurs enfants chacun de leurs allèles. Ils auront donc une chance sur quatre d'avoir un enfant homozygote aux yeux marrons, deux chances sur quatre d'avoir un enfant hétérozygote aux yeux marrons, et une chance sur quatre que l'enfant soit homozygote aux yeux bleus. Vous suivez toujours?

Mais les choses peuvent être plus compliquées. En effet, il arrive aussi que des parents aux yeux bleus aient des enfants aux yeux marrons! Avant de conclure un échange de bébé à la maternité, ou une intervention du facteur, il convient de revenir à la fabrication de la mélanine. Vu qu'il y a plusieurs enzymes impliquées dans la synthèse de la molécule ou son transport, cela fait autant de chances d'avoir une interruption de fabrication ou un transport impossible! Si le père ne peut pas fabriquer la première enzyme, et que la mère ne peut pas fabriquer la troisième, l'enfant sera hétérozygote pour chacun des gènes codant pour ces enzymes... et donc, il pourra, lui, les produire!!
Et ses yeux seront... marrons!
Cela se nomme la "complémentation".

La génétique de la couleur des yeux est donc très compliquée.

D'abord, il n'y a pas que deux couleurs, mais des dizaines : gris, vert, noir, brun, noisette, azur, avec toutes les nuances possibles. Ensuite, on connaît quelques gènes qui sont à coup sûr impliqués dans certaines de ces couleurs, mais ils n'expliquent qu'une faible part de la variabilité à l'intérieur de la population humaine. À l'heure actuelle, on ne comprend donc pas encore bien comment ça marche, il manque des détails.

Enfin, la synthèse de la mélanine n'est pas seule en cause : la mélanine peut être synthétisée, mais pas "déposée" dans les différentes structures de l'iris, ce qui influe sur la couleur.

En plus, si l'on prend en compte que plusieurs mécanismes (dominance, codominance, complémentation) peuvent jouer, on comprend qu'il est donc tout à fait courant de se retrouver dans un cas qui ne colle pas avec les exemples habituels (naissance d'enfants avec une couleur des yeux inattendue).

Moralité : oui, on peut souvent prévoir les résultats des croisements, mais il faut prendre toutes les précautions et bien penser aux différents mécanismes impliqués. On aura donc un résultat sous forme de probabilités : x% de chances d'obtenir tel phénotype.
Les éleveurs et les généticiens ont l'habitude de jongler avec de telles probabilités. Cependant, le travail est parfois très ardu.